REVUE DE LIVRE : LA VRAIE NATURE DE L'HOMEOPATHIE PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Colin   
Lundi, 01 Novembre 2010 15:32

LA VRAIE NATURE DE L’ HOMEOPATHIE

Auteur : Thomas Sandoz, PUF, Paris, 2001

 

 

Ce livre récent n’a jamais eu, à ma connaissance, d’écho dans la communauté médicale homéopathique, et pourtant la gravité des accusations qu’il contient mérite davantage qu’une absence de réponse par omission ou négligence.

 

Un petit mot en préambule pour s’étonner du titre : « vraie nature » nous a paru d’emblée très présomptueux vis-à-vis d’une discipline dont les inconnues (en particulier quant au mode d’action du médicament homéopathique) demeurent importantes. Sa parution dans une collection dirigée par Dominique Lecourt, dont on connaît la position contre l’homéopathie, n’étonnera pas le lecteur (voir son ouvrage Histoire de la pensée médicale).

 

Dès le premier chapitre, on voit bien que l’auteur n’a pas compris la démarche homéopathique, quand il parle (page 1) de « l’affiliation actuelle de l’homéopathie à la biomédecine ». L’article de ce site homéophilo sur l’anthropologie de l’homéopathie a montré exactement l’inverse…

 

Contrairement à ce que nous pensons avec les anthropologues de la médecine, ce même auteur annonce clairement la couleur (page 3), en affirmant vouloir soutenir que l’homéopathie n’est pas une médecine. On voit dès le début qu’il connaît bien mal son sujet, parlant (page 4) « de la doctrine vitaliste de Hahnemann » et d’ « une théorie savante profondément marquée par les mouvements écologico-spirituels des trente dernières années ». Rappelons une fois de plus que Samuel Hahnemann n’était pas vitaliste, mais qu’il se servait de la notion de vitalisme pour expliquer que l’action d’un médicament était nécessaire pour suppléer aux insuffisances de la force vitale, et rappelons ses vives critiques à l’encontre de Stahl (voire pour plus de détails notre ouvrage « La philosophie de l’homéopathie », et l’article « plaidoyer pour un néo-vitalisme homéopathie » écrit par Philippe Marchat sur ce site). Et s’il cite fréquemment l’énergie vitale, c’est toujours pour en souligner les insuffisances. Et c’est bien mal connaître le milieu médical homéopathique que de le rapprocher dans son ensemble de ces « mouvements écologico-spirituels ». Si la sensibilité de nombreux médecins homéopathes est proche de l’écologie, cela ne se traduit par aucun rapprochement en particulier sur le plan des associations de médecins homéopathes ; et en dehors des homéopathes de sensibilité masiste, très marginale dans l’homéopathie, il n’y a aucun lien spirituel entre médecins homéopathes et mouvements spirituels, en dehors de cas individuels comme dans tous les milieux professionnels (Masi était un homéopathe Argentin ayant rapproché à tort la pensée d’Hahnemann de la philosophie de Saint Thomas. Philippe Marchat fait une mise au point très judicieuse à ce propos dans un autre article sur notre site).

 

L’auteur pratique une confusion (volontaire ?) entre caractère scientifique de la médecine et objectivation de cette même médecine, la rapprochant des sciences physiques et naturelles, ceci pour expliquer l’éradication, grâce à cette objectivation, d’un grand nombre de maladies autrefois mortelles (page 5). Sans remettre en cause les progrès indiscutables de cette médecine objectivante, il faut cependant raison garder et se poser des questions au sujet du nombre croissant de maladies allergiques et infectieuses graves, sans parler de l’augmentation préoccupante des cancers : la condition humaine (et, entre autres, la thérapeutique objectivante) n’a-t-elle pas contribuée à remplacer certaines pathologies par d’autres ?

 

La confusion de Thomas Sandoz augmente encore quand il définit l’homéopathie (page 7) : « pour guérir une maladie, il faut administrer un remède qui donnerait au malade, s’il était bien portant, la maladie dont il souffre ». Cette définition est fausse car elle ne parle pas de la dose utilisée ni du principe d’analogie : on utilise une substance ayant subi une dilution homéopathique, qui provoque chez un sujet apparemment sain, à certaines doses, des symptômes analogues à ceux que l’on désire guérir. La dilution homéopathique, faut-il le rappeler comporte obligatoirement une dilution et une succussion, cette dernière étant indispensable à l’action du remède (fait déjà observé par Hahnemann et confirmé par de nombreuses expérimentations ultérieures).

 

Le discours homéopathique est analysé d’une curieuse façon (pages 8 et 9), mélangeant des accusations sans fondement, comme l’affirmation que l’homéopathie n’a pas de limites (la grande majorité des médecins homéopathes pensent le contraire), et une description plus que sommaire des thèmes clés de l’homéopathie : individualisation du traitement, principe de similitude, non toxicité des préparations homéopathiques, préférence de la notion de malade sur celle de maladie (non reliée par l’auteur à l’individualisation du traitement !!). La citation de l’intérêt des appellations latines nous semble bien secondaire à côté. L’homéopathie possèderait ainsi trois sortes d’originalités (doctrine médicale, remède homéopathique, rencontre thérapeutique) qui expliqueraient l’efficacité de cette thérapeutique et son appartenance à l’ « ordre médical » (page 10). Les mélanges et les confusions continuent, nous le voyons bien (la doctrine en particulier est très secondaire dans la pratique de nombreux médecins homéopathes).

 

L’hésitation décrite (même page) « entre le désir d’instituer l’homéopathie comme auxiliaire de la biomédecine et le projet d’en faire une médecine véritablement autre » est une simplification sommaire et une déformation complète de la complexité des rapports entre médecine homéopathique et biomédecine, il suffit de lire « l’étude anthropologique de la médecine homéopathique » pour cela.

 

Il convient par contre de souligner que nous sommes bien d’accord pour relier la marginalité de l’homéopathie au caractère solitaire et parfois arrogant de Samuel Hahnemann (pages 11 et 15), et à son manque de modestie (page 23). Il est également vrai que la référence hippocratique de l’homéopathie passe sous silence le fait qu’Hippocrate n’a jamais considéré la thérapeutique par les semblables pertinente en toute occasion (page 14). La confusion entretenue par Hahnemann au sujet de l’expérimentation sur l’homme sain prête également à des critiques qui nous semblent fondées. La référence hahnemannienne à la « natura medicatrix » et sa critique de la médecine de son époque sont reconnues par Thomas Sandoz. Mais parler de « haine » de la part d’Hahnemann nous semble un peu exagéré, même s’il est vrai que certains de ses propos sont inutilement polémiques. Et affirmer que l’Organon est la « bible » des homéopathes montre bien sa méconnaissance de ces médecins (ce serait plutôt la matière médicale homéopathique qui serait notre bible, s’il nous en fallait une…).

 

Les références philosophiques citées dans ce livre (page 22) sont très incomplètes et montrent une fois de plus les méconnaissances de l’auteur (voir notre ouvrage « La philosophie de l’homéopathie »). Hahnemann a, il est vrai, injustement critiqué « ceux qui gaspillent leur énergie et perdent leur temps à tisser des idées creuses ainsi que des hypothèses sur l’être intime de la vie (cité page 33), et n’a pas craint de se contredire par ses écrits théoriques, dans l’Organon et dans les Ecrits mineurs en particulier. Hahnemann, et à sa suite de nombreux homéopathes, ont voulu privilégier l’observation et l’expérimentation par rapport à la réflexion théorique, sans bien en mesurer les conséquences néfastes sur la crédibilité de la médecine homéopathique. Il faut souligner par contre que les critiques de Thomas Sandoz quant à la méthodologie des expérimentations d’Hahnemann (page 41) sont en partie justifiées : s’il a tort de condamner l’attention portée à la subjectivité des expérimentateurs (inséparabilité de ce qui est objectif et subjectif en médecine), il a raison de souligner le manque de rigueur d’expérimentations non faites en aveugle (mais il faut replacer ces expérimentations dans leur contexte historique, ce type d’expérimentation n’existait pas à cette époque), et il a tout à fait raison de douter de la parfaite santé des expérimentateurs.

 

Mais affirmer par la suite (page 37) que Hahnemann s’était inspiré de la loi des signatures montre encore une fois les lacunes de l’auteur : rappelons que Hahnemann a eu des positions variables au sujet de cette loi, tantôt la condamnant, tantôt l’admettant pour confirmer a posteriori les données de l’expérimentation.

 

Nous assistons ensuite (page 44 et suivantes) à l’étalage du credo en l’universalité de l’évaluation en double aveugle, contestée par presque tout le monde actuellement (voir l’article sur l’anthropologie sur ce site). Affirmer ensuite que les expérimentations homéopathiques n’ont pas satisfait à cette exigence montre simplement que cet auteur n’est pas allé faire un petit tour sur Medline (base de données sur la médecine qui montre les différentes expérimentations effectuées dans le monde : voir à ce sujet les travaux faits par l’auteur de cet article et mis en ligne sur le site de la Société Savante d’Homéopathie : ssh.fr).

 

Nous pouvons lire alors toute une série d’affirmations contradictoires. La préparation homéopathique n’a pas un usage « totipotent » : même s’il peut traiter des maladies différentes, il ne peut pas tout traiter. Les variations de réaction au médicament homéopathiques ne sont pas à mettre au compte « d’un certain flou », mais à l’individualisation des traitements. L’allégation de la non-spécificité des préparations homéopathiques est très discutable, surtout quand elle porte sur le caractère préventif et curatif de ces préparations (ce qui se comprend quand on sait que le médicament homéopathique soigne un malade et pas seulement une maladie, cela l’auteur l’oublie régulièrement).

 

Les citations de Laplantine (pages 48 et 49) sont très fragmentaires (voir notre article sur « l’anthropologie de la médecine homéopathique »). Par ailleurs, il complètement faux de dire que « l’homéopathie suppose que certaines maladies sont toutes positives » : Hahnemann voulait avant tout « rétablir la santé », et au contraire, il n’avait pas su voir que la maladie pouvait être une occasion d’évoluer, comme le disait Canguilhem. Il est également faux d’affirmer même page que Hahnemann n’avait d’intérêt que pour les maladies chroniques, ses écrits sur les traitements de maladies comme la scarlatine, les diarrhées aigues, démontrent bien le contraire.

 

Il faut par contre reconnaître le bien fondé de la critique faite page 58 : « les homéopathes ne semblent rien proposer pour répondre à cette question, sinon un discours qui ne fait que ressasser sans fin le truisme relationnel (une relation forte entre patient et praticien favorise la guérison) ». Mais relier le fait que le praticien fait partie du problème de la relation thérapeutique à la seule systémique dénote une méconnaissance grave des conceptions psychanalytiques de cette question.

 

Ce n’est pas parce qu’un traitement ne guérit pas des affections graves qu’il n’est pas efficace sur d’autres affections (page 62). Dire page suivante que seule une guérison explicable par la biologie est « efficace » montre une fois de plus les lacunes de l’auteur. S’il a raison de dire que la guérison n’est pas forcément le seul but recherché, et que l’on doit souvent rechercher tout simplement un soulagement, on ne voit pas bien quel raisonnement mène l’auteur par la suite quand il critique un « pragmatisme candide », et qu’il prône la guérison « pour de bonnes raisons », c’est-à-dire pour des « raisons objectives, vérifiables et généralisables », pour critiquer l’ensemble des pratiques « parallèles » (page 63).

 

Contrairement à ce que semble croire l’auteur, le médecin homéopathe s’attend aux améliorations suivant ses prescriptions, ne considère pas la médecine « orthodoxe » comme impuissante » dans tous les cas, et ne recherche pas comme « effet inespéré une victoire miraculeuse contre le mal » (même page). On fait difficilement mieux dans la caricature…Ecrire (page 69) que « le discours homéopathique fait une place d’honneur à des données secondaires sans relation avec la maladie » montre une fois de plus que l’auteur connaît bien mal son sujet (et en particulier la façon de pratiquer du médecin homéopathe, qui est de tenir compte de tous les éléments, objectivants, biomédicaux, et subjectifs, la maladie telle qu’elle est vécue par le patient : relire à ce sujet les travaux de Philippe Marchat). Mais il a raison de dire même page que « les récits de guérison, même s’ils sont obtenus dans le cadre d’entretiens cliniques, ne suffisent pas à garantir la validité d’un procédé thérapeutique ». Cela rejoint tout à fait notre critique des trop nombreuses observations cliniques publiées dans des revues ou exposées dans les congrès sans suffisamment de réserves et de prudence. Les réflexions les plus récentes sur la relation médecin malade effectuées par des non homéopathes montrent bien qu’il est souvent illusoire de vouloir séparer artificiellement le médecin, le patient, et la thérapeutique (voir l’article sur l’anthropologie de l’homéopathie), contrairement à ce qu’affirme encore l’auteur (page 85).

 

Sa critique de l’homéopathie vétérinaire page 73 fera sourire (ou s’étrangler de colère, selon sa personnalité) le vétérinaire pratiquant l’homéopathie. On voit bien que, une fois de plus, cet auteur ne connaît pas le problème.

 

Par la suite, sa description des différentes tendances des médecins homéopathes vis-à-vis d’une évaluation de l’homéopathie (pages 77 et 78) montre là aussi qu’il n’a qu’une connaissance superficielle du problème. L’homéopathie « ésotérique » est tellement marginale parmi les médecins homéopathes qu’il est très contestable d’y accorder plus de place (et d’importance) dans ces pages pour ce type d’homéopathie que pour l’homéopathie « rationaliste » qui ne refuse pas une évaluation « raisonnée » comme l’écrit cet auteur. Celui-ci développe cependant son analyse de ce type d’homéopathie, mais en la déformant tellement que cela en est à la limite du ridicule : non, nous, médecins homéopathes, ne sommes pas angoissés par l’invasion des hautes technologies dans la vie civile, contre la médicalisation technique, contre le réductionnisme, et contre une certaine philosophie dite matérialiste page 82). Par contre, il est vrai que nous sommes en général très conscients des dérives que cela peut provoquer, mais cela ni plus ni moins que tout un ensemble de personnes qui ne sont pas médecins homéopathes, mais qui réfléchissent quelque peu sur l’évolution de la société contemporaine.

 

Dans le chapitre suivant, l’auteur nous livre une définition de la médecine page 88 avec laquelle nous pourrions être d’accord : « technique (science et art) dont le but est de soigner, guérir ou prévenir les maladies, ainsi que, d’une façon générale, d’améliorer l’état de santé ». Il lie d’ailleurs, juste après, cette manière de considérer la médecine « à la notion de maladie vécue », sans s’apercevoir des conséquences que cela peut avoir sur son discours précédent concernant la médecine objectivante…

Affirmer (page suivante) que la biomédecine « recherche des traitements les moins agressifs possibles, les moins traumatisants, corporellement et psychiquement, montre bien la méconnaissance grave de l’auteur quant aux effets secondaires de nombreux médicaments, et de la gravité des maladies faisant suite à un traitement allopathique mal toléré…

 

Dire ensuite (page 91) que « le souci que l’homéopathie porte à la globalité traduit assurément une peur du corps disséqué, en jouant sur la confusion entre corps pensé (celui de la médecine) et corps vécu (celui des malades). Eh non, monsieur Sandoz, nous n’avons pas peur du corps disséqué (pour quelles raisons d’ailleurs aurions nous peur ?), et nous ne confondons pas les deux types de conception du corps, nous en tenons compte tous les jours dans notre pratique, en discernant bien les deux conceptions tout en les reliant pour notre prescription, ce que ne sait pas faire la médecine objectivante dans la plupart des cas. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur (page 92), « l’analyse pointue » effectuée par le médecin homéopathe lors de ses consultations n’est pas réductionniste, puisqu’elle est suivie obligatoirement d’une synthèse indispensable préalable à la prescription du médicament (ou à la non prescription, cela peut arriver). Les déformations continuent la page suivante : non, nous n’avons pas le « culte de la jeunesse », et nous ne nous opposons pas à « l’image surfaite (de la biomédecine) fortement marquée par l’idéalisme scientiste ». Nous avons simplement un peu d’esprit critique vis-à-vis de ces conceptions, et nous sommes loin d’être les seuls à avoir cette attitude.

 

Le rapprochement de l’homéopathie avec le charlatanisme et l’effet placebo est ensuite effectué dans les chapitres suivants. Là aussi, les déformations et les contre vérités continuent à grands pas, l’habileté de l’auteur consistant à citer des auteurs en suggérant qu’ils exagèrent peut-être un peu, mais sans s’en démarquer vraiment… Chemin faisant, l’on apprend que « la médecine ne peut être réduite à une approche de la souffrance humaine ; elle est bien plus, en tant qu’elle implique des réseaux d’influence, des idéaux, des ensembles industriels, des flux de pouvoir » (page 94), et que l’homéopathie « singe la mathématisation scientiste et le physicalisme du XIXe siècle » (page 97). Et l’on sursaute pour le moins en lisant (page 104) que « la rationalisation de l’effet placebo conduit au seul constat, fort pauvre, de l’importance de la relation thérapeutique » : en quoi peut-on oser affirmer qu’une relation thérapeutique est pauvre ? Il est sûr que cette pauvreté de la relation thérapeutique ne peut que conforter la mainmise d’une psychologie de la santé prônée par l’auteur, psychologie basée sur les aspects biomédicaux et sociaux, soumise à une méthodologie d’évaluation scientifique (page 106) : aucun mot là dedans d’une prise en compte du vécu psychologique individuel et familial du patient, ni de la subjectivité inévitable du malade et du thérapeute…

 

Par ailleurs, la position de l’homéopathie par rapport au psychisme des patients est beaucoup plus nuancée que la caricature qui en est faite (pages 108 et 109). Oui, nous tenons compte des facteurs psychiques quand ils sont présents, mais tout autant que les symptômes somatiques, et sans forcément établir de relation de cause à effet entre symptômes somatiques et symptômes psychiques. Non, tout comportement n’invite pas, pour le médecin homéopathe, à une médication.

 

Plus grave encore, après avoir écrit (page 114) que « l’homéopathie, ni totalement absurde ni irrationnelle, est une théorie parmi d’autres, donnant sens aux affections de santé et justifiant un certain nombre d’actes visant à préserver ou à recouvrer la santé », l’auteur soutient page suivante que « l’homéopathie n’appartient pas de plein droit à la médecine, que celle-ci soit entendue comme un ensemble de techniques thérapeutiques, de stratégies diagnostiques ou de savoirs fondés sur la méthode scientifiques ». Nous remarquons d’abord que cette définition de la médecine est différente de celle donnée page 88 (« technique, science et art, dont le but est de soigner, guérir ou prévenir les maladies, ainsi que, d’une façon générale, d’améliorer l’état de santé ») : nous sommes en présence de deux définitions, l’une très générale et l’autre très réductrice. Qui plus est, la méthode scientifique dont parle l’auteur laisse la place grande ouverte à la médecine homéopathique (voir pour cela le  chapitre concernant la philosophie des sciences dans notre livre « La philosophie de l’Homéopathie » et dans l’article de ce site ; « philosophie contemporaine et homéopathie. En effet, nous avons montré que la philosophie des sciences s’appliquait très bien à la médecine homéopathique, qu’elle avait des critiques positives à lui faire, tout comme des exigences tout à fait valables pour elle. Enfin, caractériser l’homéopathie (même page) par « son inefficacité scientifique, ses faiblesses conceptuelles, et ses dimensions mercantiles » relève là aussi de la caricature et de la méconnaissance grave du problème par cet auteur.

 

La ritualisation de la consultation et du suivi du traitement homéopathique est, dans le même état d’esprit, caricaturé dans les pages suivantes. Cette ritualisation, quand elle existe, n’est pas spécifique à cette méthode thérapeutique, et dépend bien plus des personnalités du médecin et du patient que de la thérapeutique employée. Et il est totalement faux de prétendre, en conclusion de ce chapitre, que les quatre fonctions de conjuration homéopathiques soient : « premièrement, lutter contre l’impuissance médicale en cherchant des solutions annexes pour contourner le verdict des médecins (nous ne contournons rien du tout, et surtout pas le verdict de la plupart des autorités médicales quant au diagnostic nosologique et à la surveillance de la maladie considérée, et sommes la plupart du temps très respectueux des moyens de traitement allopathique préconisés) et éviter d’être passif face à la maladie (au contraire, puisque toute prise médicamenteuse, quelle qu’elle soit, homéopathique ou non, induit de facto un comportement en partie passif, dans la mesure où l’on laisse à une substance étrangère au corps, prescrite par un tiers, le soin de combattre la maladie à la place du sujet lui-même) ; deuxièmement, «  lutter contre l’incertitude que suscite nécessairement la maladie (son origine, son pronostic…), en cadrant celle-ci dans une explication savante » (nous ne voyons pas en quoi dire que telle affection est sycotique ou psorique soit une explication savante, surtout quand on prend soin d’expliquer le sens des termes utilisés) ; troisièmement, « lutter contre le silence auquel peut conduire la parole des experts en défendant son identité » (attitude pas du tout spécifique au patient se soignant par homéopathie) ; quatrièmement, «  lutter contre le mouvement moderniste et la médicalisation de la société, lutter contre la raison scientifique et le matérialisme scientifique perçus contre la force des dominants » (là aussi, pas du tout spécifique au patient se soignant par homéopathie). Dans tous ces passages, la médisance et la caricature sont absolument inacceptables…

 

Les contre vérités continuent (pages suivantes), puisque, contrairement à ce qu’affirme Thomas Sandoz, nous ne savons pas toujours si notre traitement sera efficace ou pas,  (page 126), et nous ne faisons pas systématiquement des « injonctions » concernant le mode de vie du patient. La diffamation se consolide quand l’auteur rapproche l’homéopathie de la parapsychologie et de l’astrologie (page 130). Le médecin homéopathe est ensuite qualifié de « contrevenant » (page 131), et les trois groupes de médecins homéopathes décrits page 130 sont bien loin de la réalité (voire à ce sujet l’article sur « l’anthropologie de la médecine homéopathique »). Non, nous ne jetons pas notre dévolu sur cette thérapeutique, pas plus que nous ne pratiquons pas l’art du mensonge (pages 131 et 132). Non, il ne s’agit ni de foi, ni de rituel de conjuration (pages 134 et 135) : il est sûr qu’en ayant déformé de manière tout à fait caricaturale cette discipline, les conclusions ne pouvaient, elles aussi, n’être que caricaturales…Et terminer le chapitre en confondant homéopathie et fleurs de Bach, et en caractérisant l’homéopathie par sa simplicité (pages 136 et 137), montre à l’évidence la méconnaissance de l’auteur quant au sujet dont il prétend vouloir parler : l’homéopathie se caractérise bien au contraire par sa grande complexité et n’a rien à voir avec les fleurs de Bach (qui ne sont ni diluées ni dynamisées, pour commencer, et dont le principe d’action ne se base pas sur la loi de similitude).

 

Il est vrai comme le dit l’auteur (page 142) que le malade a besoin d’une théorie pour s’engager dans la guérison (le médecin aussi d’ailleurs, voir à ce sujet les travaux de Canguilhem). La grille de lecture dont parle ce même auteur page suivante n’est pas du tout spécifique à l’homéopathie, et de nombreux patients ne font pas cette démarche (« symboliser l’origine de la souffrance, trouver une image autour de laquelle un récit prendra forme »).

 

La caricature continue lors du chapitre consacré aux théories savantes de l’homéopathie, seuls certains ouvrages sont mentionnés brièvement, déformés comme dans le cas de l’ouvrage de Bernard Poitevin, l’auteur « oublie » de citer d’autres travaux comme ceux de la revue Anglaise « Homeopathy », ou de commenter des auteurs importants comme René Allendy ou Denis Demarque.

 

Plus loin, l’auteur souligne « trois caractéristiques de la doctrine homéopathique » : la première est un  «  discours propre à la psychologie culturelle en tant qu’il traite de façon bien spécifique du vécu » (tiens, je croyais que l’homéopathie, s’intéressant au corps vécu, était plus proche de la phénoménologie, terme bien précis, que de ce terme vague qu’est la « psychologie culturelle »). La deuxième caractéristique est constitués « d’assertions légères que généralement personne (ou presque) ne met en doute » (là on tombe dans la caricature). La troisième caractéristique est « la source d’avantages psychologiques et sociaux pour celui qui reprend telles quelles ces assertions, qui sont le plus souvent fort pratiques, souples et faussement contraignantes ». Nous avons parlé en détail de ces avantages dans l’anthropologie de la médecine homéopathique.

 

Le discours polémique continue dans les pages suivantes (chapitres « lutter contre le silence », « les justes », « la santé sans l’homéopathie »). Des discours généraux sans un mot sur l’homéopathie (sous-chapitre « rien n’a la saveur du leurre ») montrent bien la gêne de l’auteur pour continuer son raisonnement. Tout est mélangé, par exemple quand (page 163) l’auteur affirme avec raison que l’homéopathie favorise la construction de soi, et dit ensuite qu’elle favorise une identité de groupe et une identité culturelle et politique. Cela est beaucoup plus contestable, et montre une fois de plus les lacunes de l’auteur (nos patients proviennent de tous bords politiques, en particulier). Cet auteur dévoile par moments sa pensée (« la médicalisation de la société est bien sûr intimement liée à l’ordre socio-économique », page 174) et mélange tout dans son chapitre « Le nouvel âge de l’hygiénisme » : redisons avec force que les hautes dilutions n’ont rien à voir avec les thèses catastrophistes (page 175), et que l’homéopathie n’est en aucun cas d’ordre sociopolitique (page 182). L’ésotérisme, le mythe d’une société sans maladies et sans médecins (pages 178 et 180) n’ont absolument rien à voir avec l’homéopathie.

 

Le dernier chapitre (« la santé sans l’homéopathie ») résume à lui seul la plupart des inepties contenues dans ce livre. Non, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le médecin homéopathe ne prétend pas soigner « les maladies les plus diverses, des troubles fonctionnels au cancer, sans oublier les affections dites psychosomatiques », nous sommes plus modestes que cela…Prétendre que l’homéopathie ne fait pas partie de la médecine relève bien sûr de toutes les fausses analyses que nous avons démontées plus haut, et qui aboutissent aux qualificatifs qui frisent la calomnie, comme « subtil leurre thérapeutique, simulacre ingénieux, chimère » (page 191). Beaucoup plus grave, est la question éthique que pose l’auteur (pages 192 et 193) : « jusqu’à quel point peut-on tromper autrui, même pour son bien ? Car, en assumant le point de vue défendu plus haut, le problème de l’homéopathie est bien double : un échange (d’argent, de temps, d’objets) soutient une pratique de réassurance que chacun pourrait pratiquer seul, beaucoup plus économiquement. En clair, du point de vue humaniste moderne, qui pose l’homme au centre du savoir, la thérapeutique des hautes dilutions n’est pas acceptable puisqu’elle introduit systématiquement des intermédiaires inutiles (des granules, des entretiens, des omnipraticiens) entre la prise de conscience d’un état de souffrance et les soins élémentaires que chacun peut choisir ». Non, le médecin homéopathe ne trompe pas le patient qui vient le consulter, celui-ci, d’ailleurs, de mieux en mieux informé (grâce en particulier à Internet et à l’amélioration générale du niveau d’éducation), vient consulter le médecin de manière de plus en plus critique, voire circonspecte. C’est d’ailleurs un fait dont il faut se réjouir car le médecin et le patient deviennent davantage partenaires qu’élève et maître. Le médecin homéopathe, de son côté, est lui aussi de plus en plus critique vis-à-vis de la thérapeutique qu’il emploie, qu’il considère non seulement comme alternative mais aussi comme complémentaire, non exclusive d’une thérapeutique plus objectivante. Le reste de l’argumentation de l’auteur pourrait concerner l’ensemble de la médecine, et tombe également complètement à côté du problème : non, le patient (même quand il est médecin) ne peut pas pratiquer seul dans tous les cas cette réassurance dont parle l’auteur : c’est nier le rôle de tous les soignants que de prétendre cela.

 

La caricature continue dans les dernières phrases de l’ouvrage, qui montrent une fois de plus les incohérences de ce livre : parler de geste secondaire en ce qui concerne la succussion montre bien l’ignorance de l’auteur, puisque celle-ci est primordiale et indispensable pour l’efficacité du médicament. Prétendre que « ce que l’homéopathie enseigne, c’est surtout l’incapacité des hommes à se prendre en charge seuls » est là aussi complètement faux, et contredit les propos de l’auteur tenus page 107 (cf page 5 de cet article) : d’abord parce que l’homéopathie demande de la part du patient un effort pour mieux se connaître, ensuite parce que l’automédication (pas si secondaire que cela dans la pratique de l’homéopathie, elle est très courante) n’est en aucune façon empêchée par le médecin homéopathe, elle serait plutôt encouragée, ne serait-ce que par le manque de praticiens homéopathes et par l’innocuité de la grande majorité des médicaments homéopathiques. Cette automédication homéopathique a également l’avantage d’une meilleure prise en charge du patient par lui-même concernant ses  problèmes de santé. Non, l’homéopathie ne prétend pas être à elle seule consolatrice, elle ne prétend pas à elle seule permettre à l’homme de mieux se découvrir, elle n’est ni « l’étendard d’un monde nouveau » ni « l’espoir de pouvoir maîtriser le malheur », comme le prétend à tort l’auteur. Et s’il est vrai que l’homéopathie demande un certain niveau d’érudition, elle est de loin la seule discipline érudite qui se monnaye.

 

Les trois dernières phrases résument à elles seules toutes les contradictions de l’ouvrage: « L’homéopathie est, en fin de comte, une extraordinaire illustration de la façon dont les hommes se défendent de l’inconnu. Non pas en tant que théorie médicale, mais bien comme comportement inscrit dans l’urgence d’être actif. Précisément, l’homéopathie dit, à sa façon, que les hommes sont prêts à imaginer des systèmes d’idées et des rituels fabuleusement complexes, dans le seul espoir d’oublier les tribulations de l’homme moderne ». On pourrait à première vue souscrire complètement à cette conclusion. Mais en y regardant de plus près, on ne peut approuver l’expression « se défendent de l’inconnu », nous aurions préféré dire que l’homéopathie était une bonne illustration de la façon de se servir de phénomènes que nous ne pouvions pas expliquer. Non, l’homéopathie n’est pas une théorie médicale, Hahnemann avait une position très ambiguë par rapport à l’étude de la théorie, et à sa suite, les recherches théoriques et conceptuelles concernant l’homéopathie n’ont guère fleuri. Non, l’homéopathie n’est ni un système d’idée, ni un rituel, et ne permet pas l’oubli (à la différence de certains psychotropes). L’homéopathie fait partie de la médecine : elle permet à des millions de personnes à travers le monde entier de se soigner efficacement, sans effets secondaires majeurs, sans coût excessif ; elle permet parfois à l’être humain de faire face à sa condition, certainement pas de l’oublier, et ce n’est en aucun cas le seul moyen d’y arriver.

 

Pour conclure, c’est un livre qui, même s’il fait des critiques parfois justifiées, expose une caricature de l’homéopathie telle qu’il est ensuite facile pour l’auteur de la dénigrer. Cela lui fournit le prétexte de porter des accusations mensongères à l’encontre des médecins qui la pratiquent et des patients qui s’en servent. Ce procédé est bien connu, à la limite de la diffamation, et il nous semblait important d’y répondre point par point.

 

 

Philippe Colin