Les enseignements à tirer de la co-naissance de l'homéopathie
et de la médecine scientifique
Je reviens, ici, sur un thème qui m’est cher et que j’ai longuement traité dans un livre publié en 2001. J’y reviens car je pense que ce que j’y développais n’a toujours pas été assimilé par la communauté homéopathique.
L'homéopathie se heurte à des critiques et des oppositions dont, on l’ignore trop, la plus grande part, la motivation essentielle, sont cachées et, disons, inconscientes, ce qui nous voue à un dialogue de sourds.
Les naissances, les accouchements sont porteurs d’orientations fortes pour les nouveaux nés et peuvent marquer durablement leur trajectoire, leur histoire.
Je crois que c’est le cas concernant les relations des deux sœurs jumelles, hélas, souvent sœurs ennemies, que sont l'homéopathie et la médecine scientifique.
L’opposition à l'homéopathie prend, en effet, sa source, et son sens, dès l’origine, dès sa naissance, dès sa gestation et sa venue au jour, son accouchement, difficile. Or, on n’en a pas suffisamment conscience, homéopathie et médecine scientifique naissent au même moment, dans le tournant des années 1790-1810, non sans raisons.
Les faits
Naissances de l'homéopathie et de la médecine scientifique sont donc contemporaines et l’essentiel des difficultés de leurs relations se joue dans cette co-naissance.
Le contexte, le pourquoi de la co-naissance
Le tournant 1790-1810, correspond à la venue au jour d’un nouvel esprit philosophique et scientifique. Triomphe de la raison. Libération vis-à-vis de la religion. Méthode anatomo-clinique. Réorganisation des hôpitaux et de l’enseignement de la médecine. Le fait essentiel, la donnée majeure se joue désormais au lit du malade. Ce que l’on peut y observer. L’ancienne médecine, faite de théories et conjectures invérifiables se heurtent, désormais, aux vérifications pratiquées sur la table d’autopsie. Les aller-retours entre clinique et anatomie-pathologique ne permettent plus d’ergoter et de développer des théories fumeuses sans aucun lien avec la réalité clinique.
Une nouvelle visibilité de la maladie vient au jour et c’est complètement révolutionnaire. La maladie devient ce qui se donne à voir au lit du malade. « Les symptômes sont la maladie même ». On passe d’une médecine, très théorique, sans lien avec la réalité de la maladie, les médecins ne touchaient pas même les corps, ce geste était réservés aux barbiers, à une médecine qui va se fonder sur ce que le corps a à dire au médecin.
L’essentiel est donc qu’une nouvelle lecture, une nouvelle visibilité de la maladie est offerte. Et c’est ce qui va amener l’opposition radicale entre homéopathie et allopathie qui divergent quant à l’utilisation et la lecture de ce visible nouveau.
Le pour quoi, les visées des deux médecines
A ce moment là deux possibilités s’offrent à nos sœurs jumelles :
- fonder un corpus théorique, établir des données objectives fiables sur la maladie, en obtenir une connaissance enfin rationnelle àprojet de fonder la médecine comme science, sur le modèle de la physique et de la chimie. L’idée en arrière plan est que la connaissance théorique fonde les possibilités pratiques. Ce qui est vrai dans le domaine des sciences physiques mais beaucoup moins, en médecine, où l’empirisme des découvertes majeures est la règle, aujourd’hui y compris. La médecine à vocation scientifique s’établit donc sur le postulat non fondé que, des innovations thérapeutiques découleront nécessairement des progrès de la connaissance théorique.
- fonder une thérapeutique, un art rationnel de guérir en clarifiant les possibilités de l’arsenal thérapeutique de l’époque. C’est le choix d’Hahnemann. Mettre de la rationalité dans les indications thérapeutiques des médicaments disponibles. Mais, ce faisant, l'homéopathie choisit de soigner sans connaitre les mécanismes des maladies.
L’une, ce qui deviendra la « "médecine classique" », est animée par un puissant désir de savoir, l’autre, l'homéopathie par une forte volonté de soigner, de guérir. Il est capital de voir que ces deux options sont antagonistes car la visée de chaque discipline nie l’autre.
L’enjeu fondamental de l’opposition homéopathie/ "médecine classique" : la remise en cause du mythe scientifique occidental du savoir fondateur de l’action
Avec Descartes et Galilée, l’homme s’est donné pour mission, et comme droit, de se rendre « maitre et possesseur de la nature ». La science devient sacrée, fondatrice, garante et juge du vrai et du faux. Les sciences physiques, et les progrès technologiques, renforcent cette idée mythique.
Dès lors, prétendre guérir sans savoir, sans connaissance objective, rationnelle de la maladie (Cf. note du paragraphe 1 de l’organon de Samuel Hahnemann) est une hérésie pour la médecine scientifique naissante. Cela la menace dans son essence même, puisqu’elle se fonde sur l’axiome qu’il faut savoir pour agir.
Mais toutes les découvertes thérapeutiques essentielles sont d’origine empirique, filles du hasard : que ce soit les antibiotiques, les neuroleptiques, les antidépresseurs, beaucoup d’anti mitotiques, etc. La recherche pharmaceutique s’oriente d’ailleurs de plus en plus vers une ethnopharmacologie et n’hésite pas à puiser, voire à piller, les pratiques ancestrales et traditionnelles. Elle s’empresse, alors, d’isoler tel ou tel principe actif qu’elle brevète immédiatement.
Il faut donc comprendre que la médecine scientifique naissante est menacée de mort dans sa visée même par l'homéopathie à nécessité épistémologique du refoulement de l'homéopathie. C’est un point capital à comprendre. Et, d’une certaine manière, cela reste, sans doute, le point le plus fort dans l’opposition à l'homéopathie.
En termes plus concrets : l'homéopathie est une menace mortelle pour une médecine qui se veut scientifique, nie son empirisme foncier et prétend qu’il faut à tout prix savoir, connaitre les mécanismes intimes des choses avant de pouvoir espérer disposer de médicaments efficaces.
Quelques outils pour sortir de l’impasse
Aussi, pour sortir de l’impasse, faut-il faire comprendre à la médecine « classique » qu’elle peut se risquer à faire place à l'homéopathie sans se mettre en danger.
Je pense que, si nous voulons que l'homéopathie conquiert définitivement la place qu’elle mérite dans l’univers médical et scientifique, il convient de cesser de croire, ou rêver, que tout dépendra de sa capacité à satisfaire à telle ou telle validation d’essai. Il convient, plutôt, me semble-t-il de :
--> Rappeler que les sciences du vivant ne peuvent pas être conçues, sans excès et erreur, sur le modèle des mathématiques et de la physique car leur « objet » est le vivant, un sujet.
--> Faire prendre conscience du caractère mythique de l’énoncé savoir à agir
--> Réhabiliter, ainsi, la grande fécondité et légitimité de l’empirisme en médecine. Rappeler les dangers de la dérive anti-empiriste de la science moderne. Cf. les travaux de Judith Schlanger et Isabelle Stengers. Cf. également les propos de Michel Serres : « Tout le monde cherche sur programme et cherche donc la même chose ». Rappeler, aussi, qu’il fut un temps où l’empirisme nourrissait la science. C’est, d’ailleurs, un excellent moyen de se voir conduit vers des horizons inaccoutumés.
-->Affirmer la nature phénoménologique de l’observation homéopathique qui est « mise entre parenthèses de la science » et non son « désaveu ».
--> Montrer donc, qu’à côté de l’approche objectivante, une approche de la maladie vécue a toute sa place et sa légitimité. Que l’une ne nie pas l’autre.
--> La médecine objectivante appréhende la machinerie du corps, l'homéopathie sa dimension vécue.
-->Dire que corps « objectif », ou corps-machine et corps vécu sont deux dimensions complémentaires. Qu’approches objectivante et phénoménologique sont complémentaires.
L’enjeu de la reconnaissance de l'homéopathie, de son inscription pleine et entière dans l’univers médical moderne, est, selon moi, avant tout, théorique et épistémologique. Il me semble important que nous gardions en tête les éléments de réflexion précédents car je suis convaincu que les critiques faites à l'homéopathie, que ce soit sur sa non évaluation ou l’énigme de l’action des hautes-dilutions ne sont que la part émergée de l’iceberg auquel nous nous heurtons. La part la plus profonde, et la plus dure, sans doute, des forces et motivations qui s’oppose à l'homéopathie réside dans ce que je viens de présenter.
Mise en ligne mai 2012
P.S : Bien sur, je ne peux qu’inviter tout lecteur intéressé à se référer à mon bouquin « La médecine déchirée » pour approfondir cette passionnante question. Me contacter à l'adresse :
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