POUVOIR MEDICAL & POUVOIR PSYCHIATRIQUE PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Colin   
Mercredi, 14 Mars 2012 06:42


Michel Foucault

Editions Gallimard Seuil, 2003.

Notes de lecture et commentaires

Nous aimons tous les deux (Philippe Colin et Philippe Marchat) beaucoup Michel Foucault, en particulier ses analyses sur les problèmes de santé. La dernière parution de cet auteur a paru très intéressante à commenter.

Cet ouvrage présente les cours de Michel Foucault au Collège de France lors des années 1973 et 1974. L’auteur expose l’historique du pouvoir psychiatrique essentiellement au 19ème siècle, avec des réflexions sur la médecine en général. Ce sont ces dernières que nous avons surtout relevées, car elles sont toujours actuelles et méritent d’être à la fois soulignées et commentées.

Leçon du 7 novembre 1973

Page 4 : Michel Foucault nous dit qu’une observation médicale ne peut jamais être exacte, et que son objectivité ne peut se faire que si l’on ne tient compte que du corps malade, pas de l’individu dans son ensemble. L’auteur reviendra plusieurs fois sur ce thème dans son ouvrage.

Cette réflexion ne peut que nous satisfaire en tant que médecin homéopathe.

Page 10 : Pour Pinel, au début du 19ème siècle, la guérison du malade psychiatrique ne pourra se faire que par le pouvoir du psychiatre : « La thérapeutique de la folie, c’est l’art de subjuguer et de dompter, pour ainsi dire, l’aliéné, en le mettant dans l’étroite dépendance d’un homme, qui par ses qualités physiques et morales, soit propre à exercer sur lui un empire irrésistible et à changer la chaîne vicieuse de ses idées ».

Nous sommes très loin de la manière qu’avait Samuel Hahnemann d’aborder le malade mental, qui était beaucoup plus respectueuse de l’individualité.

Page 13 : Michel Foucault aborde le problème de l’intégration de la psychiatrie dans la médecine à cette époque : « il me semble que, parmi ceux que l’on peut considérer comme les fondateurs de la psychiatrie, l’opération médicale qu’ils accomplissent lorsqu’ils guérissent n’a, dans sa morphologie, dans sa disposition générale, pratiquement rien à voir avec ce qui est en train de devenir l’expérience, l’observation, l’activité diagnostique, le processus thérapeutique de la médecine ».

Et pourtant, comme le rappelle l’auteur, les psychiatres étaient médecins…

Leçon du 21 novembre 1973

Michel Foucault revient sur l’autorité du psychiatre, qu’il dénomme pouvoir disciplinaire. Une de ses caractéristiques principales est la négation de la notion d’individu. Cet aspect est longuement développé dans cette leçon. Une comparaison est faite ensuite avec le pouvoir disciplinaire qui existe à cette époque dans l’armée, dans les usines. Michel Foucault a des mots très forts, puisqu’il parle de « désubjectivisation, dénormalisation, dépsychologisation, qui vont de pair avec la désindividualisation » (page 58).

Nous sommes là aux antipodes de la médecine homéopathique.

Leçon du 28 novembre 1973

Sont développés dans cette conférence les rapports entre la thérapeutique psychiatrique de cette époque et la notion de famille. Le pouvoir de la famille à cette époque était nettement plus affirmé qu’à l’époque actuelle. Le psychiatre s’appuie sur le pouvoir familial pour interner le malade mental, et il copie le fonctionnement familial à l’intérieur de l’asile, les surveillants étant dénommés « père » (page 86).

Leçon du 5 décembre 1973

Le principe fondamental de l’utilisation de l’asile psychiatrique est que la guérison du malade mental doit absolument se faire en dehors de la cellule familiale (page 99). Cet éloignement de la cellule familiale est basé sur le principe de distraction (il faut cacher la folie, et penser à autre chose) ; de plus, la famille est suspectée comme étant la cause ou au moins l’occasion de la maladie ; par ailleurs, le malade attribue (faussement, pour le psychiatre de l’époque Esquirol) sa maladie à l’environnement familial ; enfin, il faut substituer le pouvoir du psychiatre au pouvoir du père ou du mari.

Leçon du 12 décembre 1973

Michel Foucault revient sur les rapports entre psychiatrie et médecine : la classification des maladies mentales, la symptomatologie, l’évolution, les éléments de diagnostic et de pronostic de chaque affection, tout ceci contribue à « proposer comme modèle au discours psychiatrique le discours médical clinique habituel » (page 133).

Même page, dans la suite logique de ce que nous venons de relever, l’auteur souligne le fait que des rapports entre maladie mentale et lésions organiques neurologiques. La psychiatrie de l’époque recherche effectivement à avoir un discours anatomo- ou physio-pathologique, tout comme la médecine officielle (et sur ce dernier point, nous sommes en désaccord avec Michel Foucault).

Ces deux points constituent les garants d’une vérité de la pratique psychiatrique et contribuent à l’intégrer dans la science, dans ce que l’on peut dénommer « vérité scientifique » (pages 13-134).

Un dernier point très important abordé page 136, celle du contre pouvoir des patients, en particulier des hystériques, à l’intérieur de l’asile. Michel Foucault insiste sur le fait que ces malades avaient l’appui du personnel subalterne de l’hôpital, et que les patrons des services ne les examinaient que rarement, et donc les connaissaient très mal. Le mensonge ou la simulation qui prévalaient dans ces cas étaient à la base de ce contre pouvoir des malades, et cela fonctionnait d’autant mieux qu’il existait cette complicité du personnel paramédical et cet éloignement des patrons de ces services. Ce contre pouvoir provoquera le recul de la psychiatrie traditionnelle, et sera un des éléments favorisant l’avènement de la psychanalyse et, plus tard, des mouvements antipsychiatriques.

Leçon du 19 décembre 1973

Pages 164 et suivantes, Michel Foucault aborde les relations entre pouvoir médical, structure asilaire, et notion de réalité. On sait que la psychose (et dans une moindre mesure la névrose) peut être définie comme la perte plus ou moins complète de la notion de réalité, de la relation que le malade peut avoir avec la réalité de la vie. Le médecin psychiatre de cette époque se sert de son pouvoir et de la structure asilaire pour imposer le retour à la réalité au malade, retour qui sera par essence incomplet dans la mesure où il est imposé par la contrainte. Cette relation d’autorité s’appuie sur la discipline, certes, mais aussi sur des concepts tels que langage, identité, plaisir, souvenirs d’enfance, qui sont tous non théorisés. C’est dans ces situations que Freud ira chercher le matériel qui lui servira de base concrète à la naissance de la psychanalyse.

Par ailleurs, la structure asilaire par elle-même permettrait le retour à la réalité dans la mesure où elle est calquée sur le modèle d’autres structures, telles que les établissements scolaires (les internats en particulier), les ateliers, les prisons, là où la relation d’autorité est la plus puissante.

Leçon du 9 janvier 1974

Page 177, nous apprenons qu’il existait une distorsion très importante entre le savoir théorique des psychiatres de cette époque et leur pratique concrète : s’il existait effectivement une recherche sur la nosologie des différentes maladies mentales, et des recherches sur des possibles relations entre maladie mentale et lésions anatomopathologiques, le manque de relation entre le psychiatre et le patient était criant : dix huit minutes par an par patient pour un médecin chef d’un hôpital Parisien, trente sept minutes dans un hôpital ordinaire. Ces chiffres montrent bien les insuffisances du système, et permettent d’émettre des doutes sur le bien fondé des connaissances psychiatriques de ces médecins et sur la qualité de leurs soins.

Quel contraste avec la pratique des médecins homéopathes de la même époque !

 

Leçon du 16 janvier 1974

Pages 220 et 221, Michel Foucault nous situe une autre origine des fondements de la psychanalyse. Les psychiatres de ce temps avaient une conception particulière des problèmes mentaux de l’enfant, puisqu’ils parlaient de « dégénérescence ». Ce terme signifiait « les stigmates ou les marques, les restes de folie des parents ou des ascendants » ; c’est en quelque sorte « la prédisposition d’anomalie qui va rendre possible chez l’enfant la folie de l’adulte ». Cette notion de dégénérescence va faire de la famille « le support collectif de ce double phénomène qu’est l’anomalie et la folie ». Si ce terme de dégénérescence a été abandonné, les origines infantiles et familiales de la maladie mentale seront reprises plus tard par la psychanalyse.

Leçon du 6 février 1974

Nous avions vu lors de la leçon du 12 décembre que le pouvoir médical avait été battu en brèche par les patients, avec la complicité des personnes paramédicales. Michel Foucault nous explique comment le médecin contrattaque pour reprendre le pouvoir par le moyen de la transformation de l’interrogatoire : celui-ci est remplacé par des injonctions, qui cherchent à obtenir, non des réponses verbales, mais des réponses corporelles, aisément déchiffrables par le médecin, qui saura mieux que le patient lui-même faire la différence entre la véracité des troubles et la dissimulation de la part du patient. Ces injonctions ont été mises au point par les neurologues, toujours en quête de l’objectivation des plaintes des patients. Au-delà de cette volonté d’objectivation qui semble opposer interrogatoire (qui laisse la porte ouverte à l’expression par la parole et à la subjectivité du patient) et injonction (qui ne demande que des réponses corporelles dénuées de cette subjectivité), il faut souligner combien par ce changement de tactique opératoire le médecin oppose corps et psyché, essaie de les dissocier au maximum pour privilégier l’expression corporelle aux dépens de l’expression psychique. Les liens entre les deux ne seront dignes d’intérêt que lorsque l’expression psychique aura à coup sûr un fondement organique, comme dans la paralysie générale. Les malades présentant des symptômes variables comme dans l’hystérie ne présentent pas d’intérêt. D’ailleurs, pour y palier, un médecin comme Charcot recherchera plus tard une constance dans les symptômes de l’hystérie pour mieux la cataloguer (fameux problème du diagnostic différentiel) et mieux la cerner.

En conclusion

Nous ne pouvons que recommander de lire attentivement cet ouvrage qui montre bien les abus d’une certaine façon de pratiquer la psychiatrie, et que l’on peut méditer, tant les abus du pouvoir médical peuvent se retrouver encore actuellement sous des formes analogues, pas seulement en psychiatrie.

L’homéopathie pourrait-elle être considérée parfois comme une forme de contre pouvoir à la médecine dite dominante ?

Mise à jour le Mercredi, 14 Mars 2012 10:17