LE REEL N'EST PAS UN MONDE D'OBJETS MAIS DE RELATIONS PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Marchat   
Dimanche, 29 Janvier 2012 18:33

LE REALISME DES RELATIONS


Le champ de l'homéopathie est un champ vital et d’individuation, les deux notions étant, d’ailleurs complètement liés puis que l’individuation se fait au gré du déroulement de la vie, du vivre et des évènements vitaux. Un autre aspect est à prendre en compte. En effet, un des intérêts majeurs de l'homéopathie me semble, de plus en plus, que le « matériel » d’observation qu’elle met à notre disposition permet d’avoir un autre regard sur le vivant, permet de passer d’une vision fixiste, dans laquelle la maladie et les patients seraient des sortes d’entités données une fois pour toutes et indépendantes l’une de l’autre, à une vision dans laquelle les relations, l’évolution, le devenir sont essentiels et constitutifs de ce que nous appelons patient et maladie.

C’est l’occasion de rappeler que pratiquer l'homéopathie expose, à un risque mais offre une ouverture. Le risque, se laisser enfermer dans les vieilles polémiques et méconnaitre l’originalité authentique de son regard, de continuer à parler « énergie vitale », globalité, etc. sans en examiner le sens véritable. L’ouverture, c’est reprendre le fil de la pratique réelle de l'homéopathie, de ce qui s’y joue vraiment pour regarder le vivant d’une façon radicalement nouvelle.

Or, que nous montre la pratique ? Que la sémiologie homéopathique fait la part  belle aux modalités d’’amélioration ou d’aggravation du sujet selon telle ou telle circonstance, dans telle ou telle situation, position, etc. Le rôle majeur des causalités est également frappant puisque le patient est « tombé » malade à la suite d’une contrariété, d’un chagrin, d’une colère, d’un coup de froid ou d’une insolation, d’une frayeur,  d’une rougeole, etc.

1°) Objet et relations dans le champ des objets

La médecine « classique » et les sciences classiques étudient des objets, bien définis, isolés du champ d’où ils sont « tirés », objets qu’elles examinent à la loupe et sous toutes les coutures. Il y a l’hépatite virale, la sinusite, la lithiase rénale, la dépression nerveuse, l’ulcère duodénal, l’asthme, le cancer colorectal, etc. comme autant d’entités isolées et indépendantes qui semblent venir prendre place dans le corps du vivant pour s’y installer.
Ici, l’objet semble auto-suffisant et posséder une identité autonome et fixe. Il ne semble guère que « consentir », comme par surcroit, à nouer des relations avec d’autres objets qui lui restent extérieurs.

2°) Le réalisme des relations

La pratique et l’observation homéopathique invitent à changer radicalement de façon de voir les choses. De passer du réalisme des objets à un réalisme des relations. En mots simples, il s’agit de cesser de considérer le vivant, quoi qu’on en dise, comme une chose et de lui attribuer, dans un second temps, des relations. Il n’y a pas des individus, qui seraient auto-suffisants, « fermés » sur eux-mêmes et qui pourraient, à la limite, vivre en autarcie et ne noueraient des relations (qui  les laisseraient inchangés) que, disons, par surcroit, de façon non essentielle.

Les individus sont le fruit de leurs relations. Ils ne leur pré-existent pas mais sont tissés, constitués par les relations.


4°) Sources scientifiques du réalisme des relations

Trois sources essentielles nourrissent le réalisme des relations : Relativité, physique quantique et  thermodynamique des états loin de l’équilibre. Toutes trois font « disparaitre » l’objet, son existence substantielle, matérielle, pour en faire la « fonction », (je serais tenté de dire la « fiction ») d’un ensemble relationnel complexe.
Je citerai quelques réflexions de Gaston Bachelard  sur le sujet. A propos de la relativité et de ses conséquences sur nos représentations, il rappelle : « la relativité s’est (…) constituée comme un franc système de la relation. Faisant violence à des habitudes (…) on s’est appliqué à saisir la relation indépendamment des termes reliés, à postuler des liaisons plutôt que des objets (…) prenant ainsi les objets pour d’étranges fonctions de la fonction qui les met en rapport  ».
Il précise les choses, et l’importance fondamentale de la relation, en affirmant « au commencement est la relation ; tout réalisme n’est qu’un mode d’expression de cette relation (…) la relation affecte l’être, mieux, elle ne fait qu’un avec l’être. En remontant de proche en proche, on doit se rendre compte que si l’on retranche la relation, il n’y a plus d’attribut, partant plus de substance   ».

5°) Désubstantialiser sans déréaliser

Il s’agit donc de désubstantialiser mais sans déréaliser. De cesser de postuler des objets existant indépendamment et antérieurement à leurs relations pour comprendre que c’est la configuration relationnelle qui structure, secondairement, un état stable (en fait métastable seulement, c'est à dire suffisamment stable pour se conserver mais encore susceptible de se modifier, d’évoluer) qui prend figure d’objet.

Les objets ne pré-existent  pas aux relations qui les constituent. Ce qui n’empêche pas qu’ils « existent » quand même, mais pas d’abord, pas en amont de leurs relations, mais comme « fonctions », résultats, résultante de ces relations constituantes.

Ainsi, il n’y a pas, par exemple, de sujet Natrum muriaticum qui serait, substantiellement Natrum muriaticum  et nouerait, secondairement, tel ou tel type de relations. Il y a un individu dont l’état actuel dévoile tout un éventail relationnel (désir de sel, soif intense, tendance à l’herpès péri-buccal, aux éruptions cutanées à la lisière du cuir chevelu, sensible au climat maritime, supportant mal le soleil, réservé, hypersensible, etc.) et dont l’anamnèse met à jour tel ou tel vécu antérieur, plus ou moins lointain, de chagrin rentré, telle ou telle pathologie et mode relationnel passé et disparu ou encore présent, etc. bref , tout un mode d’être-au-monde, d’être en relation singulier qui signe le sujet comme étant dans un état Natrum muriaticum.

Ceci correspond, notons-le bien, exactement à la pratique, au réel. Le  sujet se révèle, devant nous, dans son identité par l’énoncé et l’observation de ses relations (modalités, sensations, et causalités) actuelles et passées. Ce sont ses relations qui le constituent, devant nous, entant que sujet Natrum muriaticum.

Mais il n’y pas, non plus, d’asthme en soi ou  d’ulcère duodénal en soi. La lésion, le trouble « objectif », ne sont pas les causes des perturbations relationnelles du sujet, c’est de l’inverse qu’il s’agit. Tel sujet, sensible à l’humidité, s’infiltrant, faisant des excroissances cutanées, qui se modèlent sous l’influence des autres, n’osant s’affirmer et se montrer tel qu’il est mais préférant prendre le masque qu’on lui tend, va, peu à peu, présenter des troubles respiratoires, immunitaires et hormonaux et développer tel ensemble symptomatique que l’on diagnostiquera comme asthme. En fait, il n’a pas de l’asthme mais, comme, parfois, le langage populaire le souligne, il « fait » de l’asthme. En toute rigueur, il devient asthmatique.

Les maladies n’existent donc pas, non plus, en tant que telles, indépendamment des sujets qui deviennent malades. Elles se développent chez des sujets qui les développent.

6°) Ainsi l’individu vivant est-il le résultat, toujours provisoire et métastable, d’une genèse

Et les sujets, eux mêmes, ne sont pas de toute éternité ce qu’ils semblent être aujourd’hui. Leur identité biologique n’est pas donnée une fois pour toutes mais la constellation métastable actuelle d’un ensemble relationnel complexe constitutif. L’état actuel de tel sujet est, de fait, le résultat, mieux, la résultante, d’une trajectoire et de multiples relations nouées tout au long de sa vie.

Etant, aujourd’hui, pour garder notre exemple, dans un état, une « configuration » Natrum muriaticum, il semble en équilibre.  Mais, là encore, la notion d’équilibre doit être entendue de façon moderne. Il ne s’agit pas d’un état stable, fixe, qui supposerait que le sujet ne peut plus évoluer et restera indéfiniment Natrum muriaticum. L’équilibre en question est un état métastable, conservant un potentiel d’évolution, vers un nouvel équilibre métastable qui se mettra ou non en place, de façon non prédictible à l’avance, selon les circonstances de la vie.

7°) Un mot de conclusion

Passant de l’allopathie à l’homéopathie, on passe d’une conception, d’un modèle, dans lequel l’objet est premier, essentiel, et noue, ensuite, de façon seconde et secondaire, des relations à une conception, un modèle, dans lequel ce sont les relations qui constituent l’objet lui même.

Il faut passer de la pensée disjonctive à la pensée conjonctive. Du ou exclusif au ou inclusif. Cesser  de se demander laquelle des deux conceptions est la vraie. Les deux ont leur part de vérité. Il est beaucoup plus intéressant de voir comment  ces deux visions vraies s’articulent, quand joue l’une, quand  joue l’autre et, surtout, comment elles jouent ensemble, l’une sur l’autre.

Mise en ligne février 2012

Mise à jour le Mardi, 28 Février 2017 14:15