Nous assistons actuellement à une profonde modification de nos conditions d’exercice de la médecine. Si quelques signes peuvent apparaître encourageants, certains symptômes pourraient devenir inquiétants pour l’avenir et compromettre la pratique d’une médecine entièrement consacrée à l’être humain dans sa globalité.
I – Se souvenir du serment d’Hippocrate
Une médecine humaniste est dans la droite ligne de la pensée des auteurs anciens comme Hippocrate ; nous avons tous prononcé un serment le jour de notre soutenance de thèse de médecine, et je serais curieux de connaître ceux qui se souviennent de tout ce qu’il veut bien signifier. Ce serment n’est pas le texte même d’Hippocrate, mais en est directement inspiré, tenant compte des différences de statut existant entre la médecine Grecque et la médecine contemporaine (voir pour plus de détails le site droit-medical.com).
Je dirai simplement que ce serment fait référence à un état de santé conçu dans sa globalité, physique, mentale et sociale, qu’il demande de ne pas « exploiter le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences, de ne pas se laisser influencer par l’appât du gain ou la recherche de la gloire, et de préserver l’indépendance nécessaire à la fonction de médecin ».
On ne compte plus les cas de patients soignés par tranches, qui ne sont pas pris pas en compte dans leur dimension sociale ou psychologique. Le problème du pouvoir médical et de ses excès est lui aussi vécu quotidiennement. Les conflits d’intérêt entre médecins et laboratoires empoisonnent le monde de la médecine et aboutissent finalement à une baisse de la qualité des soins, la priorité n’étant plus la santé de la population, mais la rentabilité à court terme des entreprises des médicaments et de ceux qui travaillent pour eux. L’indépendance des médecins est fondamentale, que ce soit vis-à-vis de ces entreprises, ou que ce soit vis-à-vis d’une administration dont les arrières pensées ne sont pas toujours très claires, sur un plan économique et au niveau des volontés de pouvoir. Il existe actuellement une volonté de rentabilité à court terme qui pollue la médecine dans de nombreux domaines, au niveau du médicament comme au niveau de la médecine hospitalière. Cette volonté de rentabilité se fait bien entendu aux dépens de la qualité des soins, par le manque chronique de personnel hospitalier, par la dégradation de leurs conditions de travail, par la suppression de médicaments à faible rentabilité financière au profit de médicaments à forte valeur ajoutée, par le système actuel du paiement à l’acte qui ne prend pas en compte l’acte intellectuel et la durée de la consultation. Par ailleurs, la volonté de pouvoir de la part de l’administration de la santé se heurte à l’existence d’un pouvoir médical très organisé.
Nous voyons bien que, dans ces conditions, l’exercice de la médecine est de plus en plus empêché d’atteindre son objectif principal qui est l’amélioration de la santé de l’humanité.
II – Quelques propositions
Pour appliquer et vivre notre serment d’Hippocrate, il faudrait remettre en question quelques pratiques que nous venons de dénoncer plus haut.
D’abord, il faudrait se souvenir que l’un de nos premiers rôles de médecin est celui d’éducateur de la santé. Hahnemann l’avait rappelé à de nombreuses reprises : un habitat salubre, une hygiène rigoureuse sans être obsessionnelle, une alimentation saine sont des préambules indispensables à toute bonne santé.
Eduquer signifie aussi apprendre : apprendre aux patients à se connaître, leur apprendre à se soigner pour des affections courantes par exemple. C’est aussi savoir poser des limites face à des personnes envahissantes. C’est savoir dire non à des exigences non fondées.
Il faudrait également remettre en question le dogme actuel de la médecine allopathique qui est le rapport bénéfice/risque, qui autorise à employer des substances ayant des effets indésirables pour un effet thérapeutique bénéfique pour le patient malade. Il faudrait au contraire promouvoir le « primum non nocere », en premier ne pas nuire : le nombre de maladies qui font suite aux effets secondaires des médicaments classiques devrait faire réfléchir davantage les professions médicales. Ceci ne signifie pas un refus systématique d’un médicament ayant des effets secondaires, mais d’être plus attentif à ces effets secondaires et aux plaintes des patients à ce sujet, et de préférer systématiquement une médication efficace non toxique à chaque fois que cela est possible. C’est aussi savoir raison garder et garder un esprit critique par rapport à des nouvelles conduites médicales qui s’avèrent non fondées quelques années plus tard. Cet état de fait explique en grande partie l’importance du courant actuel auquel nous assistons, de la part de patients voulant se soigner par des méthodes thérapeutiques non nocives comme l’homéopathie et l’acupuncture.
III – Quelques raisons d’espérer et quelques questions pour l’avenir
Du côté des patients, la demande accrue des thérapeutiques alternatives, la généralisation d’internet qui permet une information plus accessible (à condition de bien savoir se servir de cet outil), et plus globalement l’amélioration du niveau d’études, peuvent permettre de transformer de manière positive les relations entre thérapeutes et patients. Ceux-ci, mieux informés, sont plus à même de se prendre en charge et de collaborer activement à la recherche d’un traitement efficace de leurs affections.
Du côté des médecins, il existe peu de motifs de se réjouir. La désaffection des jeunes diplômés par rapport à la médecine libérale montre bien que nos conditions d’exercice ne sont pas satisfaisantes. L’attrait récent pour une médecine salariée peut permettre d’espérer des évolutions positives, à condition que le médecin puisse garder une certaine indépendance par rapport au pouvoir administratif. La pratique de thérapeutiques alternatives pourra-t-elle être possible dans de telles conditions ? Le manque cruel de relève dans le secteur des médecins homéopathes et acupuncteurs commence à se faire sentir, et ouvre la porte aux non médecins pratiquant des thérapeutiques alternatives plus ou moins proches de ces deux disciplines. Nous courrons le risque d’assister à une exclusion de toutes ces thérapeutiques du système de santé, avec tous les risques de dérive que cela comporte.
La pratique de l’écoute active du patient et de sa prise en charge globale sera-elle enfin valorisée ? Sommes-nous des dinosaures en voie de disparition, à la grande satisfaction de certains ? Ou bien la dynamique des médecins homéopathes et des patients désirant des traitements complémentaires et alternatifs sera elle assez forte pour permettre de poursuivre et approfondir la pratique de la médecine homéopathique ? L’avenir le dira…
Philippe Colin
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