ELEMENTS D’ANTHROPOLOGIE DE LA MEDECINE HOMEOPATHIQUE PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Colin   
Lundi, 01 Novembre 2010 13:30

La maladie n’a sa réalité et sa valeur de maladie qu’à l’intérieur d’une culture qui la reconnaît comme telle (Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie, PUF, 1954, réédition 2002, p.71).

 

I – Introduction

L’anthropologie est définie comme l’étude de l’homme et des groupes humains. Cette définition montre d’emblée les deux polarités de l’anthropologie : en premier lieu, l’être humain est considéré comme un individu dans sa globalité somatique et psychique, certes, mais toujours dans son contexte social et culturel. Le deuxième aspect comprend les études ethnologiques, plus spécialement centrées sur l’étude de populations particulières, situées dans n’importe quelle partie du globe, l’étude de ces sociétés et des cultures et la façon dont l’homme s’adapte à la maladie et les réponses qu’il y apporte dans ces sociétés (l’ethnologie est définie comme étant l’étude de l’ensemble des caractères de chaque ethnie, afin d’établir des lignes générales de structure et d’évolution des sociétés). Rousseau est considéré comme   le premier anthropologue par les historiens de la discipline, citons aussi Durkheim (1858-1917), Lévy-Bruhl (1857-1939), Lévi-Strauss, Ruth Benedict…

Il existe une deuxième définition de l’anthropologie, plus spécifiquement philosophique : c’est la branche de la philosophie consacrée à l’étude de l’homme, illustrée en particulier par l’ouvrage de Kant sur l’anthropologie. Notre étude se concentrera essentiellement sur la première définition de l’anthropologie.

L’anthropologie médicale est donc la partie de l’anthropologie consacrée à la médecine. Son approche est plurielle, faisant appel aux disciplines biomédicales, philosophiques, psychanalytiques et culturelles (incluant des domaines comme la religion, la sociologie, et l’économie politique).

Les anthropologues parlent constamment de biomédecine dans leurs textes, et il nous a paru important d’en définir également les contours dans cette introduction. La biomédecine est l’étude de la maladie telle qu’elle est observée et objectivée par le médecin (en anglais, disease), à la différence de la maladie telle qu’elle est ressentie subjectivement par le patient (en anglais, illness), et à la maladie dans ses diverses relations avec la société (en anglais, sickness). C’est la médecine à l’occidentale, telle qu’elle est enseignée dans nos facultés de médecine et telle qu’elle est présentée dans les revues médicales dites de référence.

Une anthropologie de la médecine homéopathique devra par conséquent étudier, non seulement les données biomédicales pouvant exister à son sujet, mais aussi les fondements philosophiques, psychologiques et culturels qui sous tendent cette discipline. C’est donc une approche globale, qui correspond d’ailleurs très bien au caractère globalisant de la médecine homéopathique. Cette anthropologie ne pourra être complète que si nous la comparons au modèle dominant notre société occidentale, le modèle biomédical.

Nous avons été frappés dans nos recherches bibliographiques sur cette question sur la radicalité de la critique de notre système de pensée médicale dominante dans nos sociétés occidentales. Cette critique rejoint tout à fait nos préoccupations personnelles quotidiennes sur la façon de pratiquer la médecine actuellement.

 

 

II – La biomédecine

Tous les anthropologues sans exception ont une attitude très critique vis-à-vis du modèle biomédical. François Laplantine parle même de schizophrénie à son sujet, nous y reviendrons plus loin.

 

A – Les modèles de la biomédecine (Laplantine, 1986)

 

1 – Le modèle ontologique repose sur la nosologie, l’anatomopathologie, et un spécifisme étiologique : à chaque altération fonctionnelle doit correspondre une altération organique, et toute maladie doit avoir une cause précise. Les maladies deviennent ainsi objectivables, matérialisables, et cette matérialisation est rassurante, n’ayant peu ou pas de relations avec la personnalité du malade (« ce n’est pas de ma faute », peut-on entendre). Ce modèle fonctionne souvent comme un discours écran, discours uniquement centré sur le corps ou même une partie du corps, faisant penser à la notion de pensée opératoire de l’école de psychosomatique de Paris. De plus, elle est favorisée par les progrès récents de l’imagerie médicale et des dosages biologiques de plus en plus sophistiqués.

2 – Le modèle exogène repose sur l’action d’un élément étranger au malade, réel ou symbolique, qui vient s’abattre sur le malade : c’est la bactérie, le virus, l’environnement physique (météorologie, pollution) ou social.

3 – Le modèle additif, proche du précédent, se rencontre quand on parle d’intrusion par un corps étranger.

 

B – Etude épistémologique de la biomédecine

 

1 – Biomédecine et biologie moléculaire

Cette forme de médecine s’appuie sur la formule de Claude Bernard, qui écrivait dès 1865  dans son Introduction à la médecine expérimentale : « La médecine, c’est de la physiologie appliquée, sa méthode consiste à ramener les propriétés vitales à des propriétés physico-chimiques » (cité par Laplantine, 1986, page 267). La pathologie biomédicale est donc une pathologie moléculaire, le vrai malade sera donc un malade organique, dont les lésions sont observables, et ce sont ces maladies organiques qui constitueront l’objet même du savoir médical. Par conséquent, les troubles fonctionnels ne sont pas à proprement parler des maladies. Jean Bernard (1973) disait des malades fonctionnels qu’ils étaient des malades imaginaires, et l’on retrouve cette distinction dans les écrits d’Alain Froment (2001).

La biomédecine est donc subordonnée à la biologie moléculaire, elle en est « la courroie de transmission » (Lucien Israël, 1968). Les données dites objectives (poids, taille, données de l’imagerie, résultats biologiques sanguins ou urinaires) seront privilégiées par rapport aux données subjectives apportées par l’écoute du malade. L’épidémiologie, fondée sur la statistique, aura pour unique visée de dégager les facteurs responsables de la maladie (par exemple en pathologie cardiovasculaire), et aura pour effet de renforcer la pensée causaliste. Nous avons vu au congrès d’Amiens l’an dernier que cette conception moléculaire de la physiologie humaine était dépassée actuellement, et que les implications épistémologiques de la physique quantique allaient à l’encontre de bien des dogmes de la pensée moléculaire.

 

2 – La pensée causale de la biomédecine

La biomédecine est effectivement basée sur un « strict spécifisme étiologique ». Cette recherche des relations de cause à effet a pour avantage une certaine précision et d’une certaine clarté. Mais elle est aussi le reflet d’une simplification déformante, car elle se fait au prix d’une mise à l’écart ou d’une moins grande attention à tout ce qui est fonctionnel et subjectif, et à tout ce qui ne rentre pas dans ce schéma de pensée causaliste, en particulier les relations d’analogies, les coïncidences signifiantes (voir à ce sujet tous les écrits de Jung).

Ces causes sont massivement reportées à une agression exogène, et, subsidiairement, à des facteurs endogènes. Cette causalité de la pathologie entraîne de facto une causalité thérapeutique : par exemple, une cause bactérienne impliquera un agent thérapeutique anti-bactérien. Cette pensée causale se rencontre surtout dans certaines spécialités, comme par exemple l’infectiologie, la cardiologie, l’endocrinologie, l’allergologie. Elle correspond à des paroles citées par François Laplantine page 287 de son ouvrage : « Contrairement à ce que vous pourriez croire, c’est facile, l’endocrinologie : s’il y a trop d’hormones, on en enlève, s’il n’y en a pas assez ; on en rajoute », phrases pouvant faire croire à une certaine paresse intellectuelle…

 

3 – Le triomphe de l’espace sur le temps

Les données du microscope et les progrès de l’imagerie médicale ne font qu’accentuer la fascination de notre société pour le regard au détriment de l’ouïe, pour l’espace au détriment du temps : il y a des thérapeutes qui voient et d’autres qui écoutent. Cette préférence de la vision au détriment de l’écoute a été soulignée récemment par Donatien Mallet (2007), mais celui-ci n’en a malheureusement pas tiré les leçons sur notre pratique médicale.

Or, il semble bien que pour des raisons épistémologiques que rappelle François Laplantine, le médecin ne peut pas appréhender à la fois le temps et l’espace. Ludwig Wittgenstein a montré en 1922 (Tractacus logico-philosophicus, proposition 6.375) qu’il y avait impossibilité logique de vouloir appréhender à la fois la rapidité et l’endroit où se situe une particule. Et Werner Heisenberg en 1927 a énoncé la relation d’incertitude qui affirme que nous ne pouvons pas saisir simultanément la nature ondulatoire et la nature corpusculaire de la particule. Le médecin, centrant sa pratique et son attention sur l’espace, ne peut que négliger le temps, qu’il a appris, lors de sa formation, à ne pas considérer comme objet d’étude, alors que la spatialisation, elle, est garantie de l’objectivité médicale. Par conséquent, nous pouvons émettre l’hypothèse que la priorité donnée à l’objectivation freine ou même peut empêcher la prise en compte de la subjectivité du malade. Il faut souligner que juste un an après François Laplantine, Michel Henry nous rappelle dans « La Barbarie » (page 28) que Descartes avait déjà en son temps dans ses Méditations remis en cause le voir en général comme source et fondement de toute connaissance quelque qu’elle soit.

Cette préférence du visible dans la biomédecine est mise en relation par François Laplantine avec les tendances du schizophrène qui « s’anatomise, se morcèle, dans la dénégation du temps et de la mort » (Laplantine, 1986, page 283). La biomédecine, qui sépare artificiellement les différents aspects de la personne humaine, est, tout comme la schizophrénie, une pensée clivée, ou pour le moins, une pensée opératoire, pour reprendre l’expression de l’Ecole Psychosomatique de Paris (la pensée opératoire sépare complètement le psychisme du physique, sans considérer les relations existant entre les deux).

 

 

B – Critique de la pensée biomédicale

1 – Le scientisme de la biomédecine

Il existe bel et bien une confusion dans les esprits de nombreux médecins entre l’esprit scientifique et le scientisme. Cette différence a été très bien décrite par Alain Froment (2001) et se retrouve dans tous les ouvrages de philosophie des sciences : « tout énoncé scientifique reste nécessairement et à jamais donné à titre d’essai » (Popper, La logique de la découverte scientifique, Payot, 1984, p. 286). Faire de la science, pour Annick Barberousse (2000, pages 175 et 182), « cela suppose au moins observer des phénomènes, essayer de les expliquer, agir en construisant des dispositifs expérimentaux pour tester ces explications, communiquer les conclusions à d’autre membres d’une communauté, et cela suppose une capacité à observer le monde, ainsi qu’une capacité à modifier ses croyances et ses théories en fonction du résultat de ses observations ». Il existe dans le scientisme une confusion entre le scientifique et le vrai, qui sont en fait deux choses rigoureusement différentes. Qui plus est, le scientisme affirme que la science nous fait connaître la totalité des choses qui existent et que cette connaissance suffit à satisfaire toutes les aspirations humaines (définition du dictionnaire encyclopédique Larousse en 5 volumes). Cette pensée se retrouve dans les écrits de certains grands patrons de la médecine contemporaine, longuement analysés par les anthropologues. La médecine est pour ces médecins « une activité animée par l’idéal du bien public, la valeur supérieure de notre civilisation, qui nous fera pour la première fois accéder à l’idéal d’une société sans mal » (Laplantine, 1986, page 305). Qui plus est, ce scientisme « se teinte d’arguments d’autorité (basés sur la confusion entre scientisme et esprit scientifique), et de propos polémiques contre tout ce qui ne fait pas partie de leur discipline, et semble utiliser comme caution un humanisme de façade, fondé sur les notions d’assistance, de secours et de bonheur » (Laplantine, 1986, pages 303 à 306). Pour ce même auteur, la pensée biomédicale comporte « une rigidification doctrinale et défensive dont la fonction est d’occulter d’autres approches non seulement possibles mais nécessaires de la médecine […] Une médecine qui s’affirme comme exclusivement biomédicale et feint de procéder seulement du strict modèle des sciences exactes ne peut tout à fait prétendre à la scientificité qu’elle s’attribue » (Laplantine, 1986, page 313). Une « Evidence based medecine » est ainsi très contestable dans sa conception, et les études en double aveugle contre placebo très contestables dans leur principe, comme l’affirment encore des ouvrages récents comme celui de Donatien Mallet (2005), préfacé par le professeur Sicard, ou par les ouvrages d’Alain Froment (2001), qui était chef de service de cardiologie au CHU de Tours (lire en particulier « Médecine scientifique, médecine soignante, pages 85 à 134, où l’auteur montre les limites des études randomisées et des méta-analyses). Ce scientisme est d’autant plus contestable que des études anthropologiques montrent que les conceptions biomédicales changent d’un pays industrialisé à l’autre sur des questions aussi basiques que la lecture d’un électrocardiogramme, la prise en charge d’une hypertension ou d’un problème de cholestérol (Benoist, page 283). Ce même auteur pose d’ailleurs la question suivante : « trop de science dans la médecine ne peut-il pas tuer la médecine dans la médecine ?».

 

 

2 – La pensée causale

Laplantine (1986, page 321) fait également une critique radicale de la pensée causale : « ce n’est pas la pensée scientifique mais la pensée magique qui est assoiffée de pensée causale ». Nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré à la pensée causale dans notre ouvrage « La philosophie de la médecine homéopathique » (pages 338 à 340).

 

3 – Simplification de la complexité du vivant

Il existe une simplification abusive de la part de la biomédecine qui devient ainsi inopérante dans la connaissance et le traitement d’un grand nombre de malades. Les maladies fonctionnelles sont ainsi frappées d’un véritable discrédit et sont considérées au mieux comme des structures d’attente des progrès de la recherche biomédicale. Cette simplification est à mettre en rapport avec le langage médical qui traduit et trahit les symptômes subjectifs décrits par le malade pour les transformer en une entité maladie objective. C’est la vision déformante de l’observation médicale telle qu’elle est enseignée dans les stages hospitaliers des études médicales, très bien analysée par Byron Good (10, pages 172 à 175) : comme le dit cet étudiant d’Harvard, « si l’on cherche à raconter la véritable histoire du malade, nous serons hors sujet ».

Cette simplification dérape sur une pensée du tout biologique, à tel point que certains comme Monod demandent à la biologie de « fournir une réponse aux problèmes philosophiques et aux problèmes de société que se pose l’homme contemporain » (Laplantine, 1986, page 323). Ce dérapage est assimilé par de nombreux anthropologues à la constitution d’une nouvelle religion biomédicale, avec les excès des guerres de religion contre tout ceux qui ne partagent pas leur croyance : «  La santé a ainsi remplacé le salut » (Michel Foucault, en conclusion de « Naissance de la clinique, page 191).

La maladie est dans cette optique séparée artificiellement de son contexte social et historique, sans compter tout ce qui relève de la subjectivité, des désirs et des jouissances du malade comme du médecin : le savoir biomédical occulte ou minore fortement les rapports de la maladie à l’individu et les rapports de l’individu au social. Laplantine rejoint par là Edgar Morin pour souligner la complexité des phénomènes survenant dans tout ce qui concerne la santé et la maladie : la plupart des maladies correspondent en fait à plusieurs étiologies (mélange variable d’agression extérieure et de fragilité du terrain) et demandent à dépasser le dualisme simplificateur de l’exogène et de l’endogène : cette complexité de l’humain implique alors de « jouer sur la polyphonie du clavier thérapeutique » (Laplantine, 1986, page 335). Cette démarche rencontre encore bien des résistances auprès du corps médical, qui la juge « intéressante, peut-être prometteuse, mais floue et actuellement inopérante, quand elle n’est pas jugée culturellement insolente » (même page). Et pourtant tous les anthropologues s’accordent à affirmer que la non prise en compte de tous ces facteurs expliquent l’inefficacité relative d’une biomédecine trop focalisée sur le corps (voir l’ouvrage récent de Maryvette Balcou-Debussche, L’éducation des maladies chroniques, éditions des archives contemporaines, 2006, qui montre l’importance de la prise en compte des facteurs socioéconomiques dans le suivi et l’efficacité du traitement des diabétiques), et expliquent l’inadéquation de ce type de médecine dans les sociétés non occidentales.

Pour terminer ce chapitre, citons encore Jean Benoist : « une vérité biologique n’est pas nécessairement une vérité médicale, car la maladie est vécue, représentée, et la représentation doit elle aussi être soignée » (in www amades. net /recherches/debats).

 

4 – La biomédecine comme occultation stratégique du rapport de la maladie à la société

La réduction de la maladie au biologique entraîne de facto une exclusion ou une minoration des facteurs sociaux qui peuvent entraîner une pathologie. Ainsi, une dépression réactionnelle à des problèmes professionnels de harcèlement moral aboutira en premier lieu à une réponse médicamenteuse, la racine du problème n’étant que très peu souvent traitée prioritairement. Se pose alors dans ces cas là le problème du rôle du médecin dans la société (voir entre autres l’ouvrage de Jean-Claude Guyot : « Quelle médecine pour quelle société », Privat, 1982).

Par ailleurs, certains auteurs soulèvent le problème des rapports économiques de la biomédecine et de l’allopathie qui en est le prolongement thérapeutique. Citons par exemple les bénéfices énormes des multinationales pharmaceutiques (Marcia Angell), lesquelles ne font pas cas des finances des patients et des organismes de protection sociale. Certains médecins n’hésitent pas à affirmer que les thérapeutiques alternatives et complémentaires sont nuisibles car elles font perdre de l’argent à ces industries (Whitman, 15). La revue « Prescrire » insiste sur la fabrication de fausses pathologies pour vendre du médicament, et sur la médicalisation abusive de certains problèmes de santé (dépression en particulier) là aussi dans le but de vendre du médicament. Alain Froment comme Marcia Angell décrivent la  compromission d’une partie du corps médical par les « achats de prescription », ou par des études bidon faites pour promouvoir des nouveaux médicaments (souvent des copies, comme l’affirme Marcia Angell, ancienne rédactrice en chef de la revue New England Journal of Medicine). Un rapport sénatorial récent (juin 2006, cité page 11 du journal « Le Monde » du 15 juin 2006) dénonçait la trop grande influence de l’industrie pharmaceutique et son manque de transparence, par exemple dans le financement à 80% de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et dans le financement à 98% de la FMC obligatoire de la part de cette même industrie pharmaceutique.

 

Une authentique anthropologie de la maladie demandera de montrer l’intrication étroite de la maladie comme sujet d’angoisse pour le malade (et aussi pour le médecin, ajouterons nous), et de la maladie comme objet d’étude pour le savant (Laplantine, 1986, page 339). Relier le sujet à l’objet, deux entités séparées artificiellement par la pensée biomédicale, rejoint alors la préoccupation première de la plupart des philosophes contemporains.

II – L’homéopathie

Rappelons brièvement ce qu’est l’homéopathie : une thérapeutique basée sur l’emploi de substances diluées et dynamisées, utilisée dans une vision globale, somatique, psychique et enironnementale de l’homme, et se servant d’un raisonnement analogique : analogie entre la matière médicale du remède homéopathique et les symptômes présentés par le patient.

 

A – Les modèles de l’homéopathie

François Laplantine décrit trois modèles de représentation pour la médecine homéopathique : modèle fonctionnel, modèle endogène et modèle analogique. Nous en avons rajouté un quatrième, le modèle holistique ou énergétique.

 

1 – Le modèle fonctionnel ou relationnel

Il ne repose pas sur la notion d’être, être quelque chose quelque part, mais sur la notion de dérèglement, en termes d’harmonie et de dysharmonie, d’équilibre et de déséquilibre (Les termes d’harmonie et de dysharmonie nous semblent préférables, plus généraux, alors que déséquilibre et équilibre nous font toujours demander entre quoi et quoi il y a déséquilibre, en ayant à rechercher ce qui peut déséquilibrer les plateaux d’une balance, comme s’il y avait quelque chose de quantitatif alors que cela peut être simplement quelque chose de qualitatif). Ce dérèglement sera variable en fonction de chaque individu, c’est la notion d’idiosyncrasie remontant à Hippocrate (notion retrouvée en psychanalyse), à la « natura medicatrix  d’Hippocrate (que l’on retrouve dans la notion moderne de résilience). Il fera appel à l’histoire du malade, au temps (là aussi, notions partagées par la psychanalyse).

 

2 – Le modèle endogène

Ce modèle considère que la maladie part de l’intérieur du sujet : c’est le tempérament, la constitution, le caractère, le terrain, le patrimoine génétique, les défauts de défense de l’organisme.

Il comporte deux variantes : une variante somatique, remontant à Hippocrate (ainsi, la mélancolie provenait d’un excès de « bile froide », la manie d’un excès de « bile chaude »), et se retrouvant actuellement dans la génétique et l’immunologie. La variante psychologique remonte à Platon : pour lui, l’équilibre est fondée sur l’union harmonieuse de l’âme et du corps, lorsque les exigences du corps sont trop fortes, il y a indocilité et ignorance, lorsque les exigences de l’âme sont dominantes, nous sommes envahis de maladies et nous sommes conduits à la « mania », folie humaine venant de l’intérieur de l’homme. La maladie, en particulier la maladie physique, est toujours l’expression psychologique ou la symbolisation de ce que nous désirons secrètement (Groddeck, et avant lui La Rochefoucauld au 17ème siècle). Ces notions se retrouvent de nos jours en psychanalyse et en médecine psychosomatique.

L’homéopathie, tout comme la psychanalyse ou l’allergologie, fait appel aux deux modèles, endogène, et exogène exposé plus haut : rôle de l’allergène, du terrain, voire des dispositions psychologiques en allergologie, rôle de l’environnement familial dans la genèse des troubles en psychanalyse, rôle de l’environnement familial, climatique, alimentaire entre autres dans l’homéopathie.

 

3 – Le modèle analogique

Il se retrouve bien sûr dans l’homéopathie, qui repose sur la loi de similitude et l’emploi de substances diluées et dynamisées. François Laplantine en rapproche le principe de la vaccination, qui vise à inoculer le mal atténué pour susciter des moyens de défense dans l’organisme. Pasteur déclare ainsi dans une communication à l’Académie des Sciences (26 avril 1880) : « le médecin donne du sucre au diabétique, de l’alcool à l’alcoolique sevré, des principes inflammatoires à l’infecté et au fébrile » (Laplantine, 1986, page 185). Sont cité également l’homéopathie médicinale populaire (appliquer de la chaleur sur une brûlure, donner des tisanes chaudes dans la fièvre par exemple), la médecine des signatures qui consiste à donner au malade des substances par analogie avec la forme de l’organe touché (œil et euphrasia officinalis) ou de la couleur des sécrétions (bile jaune et suc jaune de la chélidoine). S’en rapproche enfin ce que Laplantine dénomme l’homéopathie rituelle, par exemple invoquer Saint Genou dans la goutte, Saint Acaire pour les femmes acariâtres, ou appliquer un chiffon rouge sur la peau de ceux qui ont la rougeole. La cure psychanalytique est incluse dans ce modèle homéopathique dans la mesure ou « elle consiste dans une réactivation des problèmes dont souffre l’individu à la faveur d’un déplacement d’énergie ». Il existe bien sûr des différences importantes entre psychanalyse et homéopathie, qui seront examinées dans le chapitre suivant.

 

4 – Le modèle holistique ou énergétique

Il a été décrit par Hans Baer et Robbie Davis-Floyd (2005). Ce modèle reconnaît l’esprit, le mental et le corps comme un tout, et définit le corps comme un champs d’énergie en relation constante avec d’autres champs d’énergie, demandant par conséquent des soins basés sur cette notion d’énergie. Cette conception est en rupture complète par rapport avec l’approche mécaniste de la biomédecine. Elle correspond tout à fait aux données récentes sur les propriétés physiques du médicament homéopathique et au fait que les propriétés de la physique quantique s’applique à la biologie humaine et au médicament homéopathique.

 

B – Les problèmes posés par le modèle homéopathique

François Laplantine (1986, pages 196 à 198) examine brièvement les résistances de notre société envers le modèle homéopathique : cette conception implique la participation du malade à son état puis à sa guérison, ce qui est loin de pouvoir être toujours le cas : les patients ne sont pas toujours capables de s’observer comme le voudraient les subtilités de la matière médicale homéopathique. De plus, la volonté de guérir est un vaste problème dépassant le cadre de notre intervention, et pas spécifique à la médecine homéopathique : disons simplement que cette volonté de guérir peut parfois être très ambiguë, en relation avec les bénéfices secondaires retirés de la maladie, et en rapport avec la conception des rapports entre maladie et santé.

Par ailleurs, François Laplantine considère que «  dans la médecine homéopathique, le symptôme n’est plus considéré comme intrinsèquement pathologique, car il est susceptible d’annoncer ou amorcer une réorganisation thérapeutique, comme par exemple les réactions d’élimination. L’idée, enfin que c’est du mal que peut sortir le bien, que c’est de la maladie que peut naître un retour à un nouvel équilibre, ou que c’est la maladie elle-même qui permet de revenir à la santé antérieure, pose problème à tous les malades » avec lesquels s’est entretenu François Laplantine : « nous acceptons avec difficulté que le « mauvais », l’ennemi, ce qui nous fait souffrir, vienne de nous et implique vraiment la personnalité qui le crée » (Laplantine, 1986, page 198).

Ce qui peut poser problème également dans le modèle homéopathique, c’est l’action supposée globale, psychosomatique du médicament homéopathique, qui lui fait souvent majorer le rôle du médicament homéopathique aux dépens de l’action de l’entretien malade médecin. De plus, le malade pourra avoir le désir de prendre un remède (qui aura l’avantage pour lui de ne pas être toxique) à la manière allopathique pour résoudre un problème qui ne serait vraiment résolu que par une prise de conscience ou par un changement de vie.

Les problèmes biomédicaux posés par l’homéopathie sont bien connus et ne seront pas développés ici. Ils peuvent se résumer par l’absence de la connaissance du mode d’action du médicament homéopathique. A notre avis, l’importance de cette méconnaissance doit être relativisée, si l’on en croit les conséquences épistémologiques de la physique quantique.

Enfin, le médicament homéopathique a une fonction économique à double tranchant : il peut faire faire des économies substantielles au patient et aux organismes de protection sociale. Mais en même temps, la prise du médicament homéopathique se fait aux dépens d’une prise de médicament allopathique, et empêche par là ses concurrents pharmaceutiques allopathiques de faire encore plus de profits, ces derniers ayant ainsi moins de moyens pour financer leur recherche (Withman, 15). Nous sommes pris par conséquent dans une logique de concurrence économique, très importante dans notre société actuelle.

 

 

III – Le modèle adorcistique : la maladie considérée comme ensemble ambivalent et signifiant, la guérison comme action régulatrice.

Ce modèle est opposé au modèle exorcistique, qui considère que le soignant mène un véritable guerre contre la maladie : l’adorcisme est l’attitude du soignant où celui-ci devient au contraire l’assistant ou l’initiateur du malade. Dans cette conception, la maladie peut être perçue comme un bien, permettant un niveau supérieur d’existence, elle peut acquérir un sens ou une valeur. La maladie vient du malade, elle doit être décryptée comme une composante inéluctable du soi : elle n’est pas le contraire de la santé, il y a seulement « des réactions heureuses ou malheureuses, génératrices de plaisir ou de douleur, qui sont autant de réactions originales de s’adapter à des situations inédites […] La pathologie est un dysfonctionnement global de l’être humain en rapport avec son milieu, à qui correspondent des thérapies fondées sur une action régulatrice qui accorde la priorité aux potentialités propres du sujet malade » (Laplantine, 1986, pages 236-237).

La maladie devient dans ce modèle adorcistique profondément ambivalente, de même que la santé : l’une et l’autre ne sont plus nécessairement ni complètement négatives ni complètement positives, faisant voler en éclats la distinction entre le normal et le pathologique. La psychanalyse en est un exemple, d’abord parce qu’elle a montré l’implication profonde du thérapeute, en apprenant à tirer partie des phénomènes de transfert et de contre – transfert, ensuite parce qu’elle bien montré les bénéfices secondaires de la maladie, et enfin parce qu’elle a mis au point une forme de traitement qui est le contraire même de la suggestion, entraînant le malade à devenir autonome et responsable dans son cheminement entre maladie et santé.

L’homéopathie ne rentre pas complètement dans le cadre de l’adorcisme, car si elle fait effectivement bien appel aux possibilités réactionnelles du sujet malade, et si la maladie peut avoir un sens pour la médecine homéopathique, ce sens sera toujours perçu de façon négative, le but du traitement homéopathique étant de se libérer de la maladie : Samuel Hahnemann a toujours établi nettement une dichotomie entre santé (le bien) et maladie (le mal) qui n’existe pas dans l’adorcisme. De plus, le médecin homéopathe n’a pas à travailler sur son propre contre transfert, et le patient n’a pas à saisir obligatoirement le sens de sa maladie et à prendre conscience de ce qui lui est arrivé (même si l’on peut dire que le traitement homéopathique y aide, il est bien difficile de faire la distinction entre l’action de la consultation et celle du remède dans cette prise de conscience quand celle-ci existe).

François Laplantine souligne alors que « cette position ne peut être que marginalisée dans une culture qui a massivement opté pour l’efficacité immédiate, contre l’accompagnement lent et graduel des processus, pour la distinction radicale des rôles et des statuts de soignant et soigné, contre leur permutation possible, pour l’univocité des signes contre l’opacité et l’équivocité des symboles » (Laplantine, 1986, page 238). Pour cet auteur, le modèle allopathique correspond bien au modèle culturel dominant qui considère la maladie comme mauvaise, n’engageant pas la personne dans son intégralité. Et il est plus facile d’attribuer ce qui nous fait souffrir à des facteurs extérieurs plutôt qu’à nous-mêmes, et d’attendre la réponse qui nous débarrassera de cette partie de nous qui n’est pas véritablement nous, d’une intervention extérieure exécutée par celui qui bénéficie du plus grand capital de prestige social. Dans une société qui favorise d’un côté les relations de pouvoir, d’un autre côté la passivité et l’assistanat, ce type de médecine ne peut être que favorisée et valorisée. « Comment ne pas attribuer systématiquement comme on nous l’apprend dès l’enfance ce qui nous affecte et nous fait souffrir à l’extérieur de nous, plutôt que de le rechercher en nous-mêmes ? » (Laplantine, 1986, page 245).

 

 

IV – Etude ethnologique des médecins et des patients

A – Les médecins

Pour François Laplantine, ceux-ci peuvent avoir trois types d’attitude (Laplantine, 1986, pages 271 à 275).

1 – Le clivage du biologique et du non biologique

Les médecins de ce premier groupe appliquent dans leur intégralité les enseignements de la faculté, ne contestent pas qu’il peut exister d’autres facteurs dans la genèse de la maladie, mais que le mieux pour eux « est de s’en tenir à ce que l’on sait et qui a fait ses preuves », les autres facteurs étant difficilement maîtrisables et utilisables dans le cadre d’une démarche « scientifique ».

2 – La réduction au biologique et l’extension du biologique

Les médecins de ce deuxième groupe incluent dans leur pratique non seulement les plaintes reposant sur des problèmes organiques, mais aussi les demandes liées à une insatisfaction psychologique, sexuelle, existentielle, sociale, étendant leur domaine de compétence au malheur, au mal de vivre, bref à tous les domaines de la vie quotidienne, et en apportant une réponse essentiellement médicamenteuse à ces problèmes. Ils sont les acteurs de ce que François Laplantine dénonce : la culture médicale, qui paradoxalement procède à un double mouvement de désocialisation de la maladie et de médicalisation de la société.

3 – L’éclatement du biologique et son ouverture sur le non biologique

Les médecins de ce troisième groupe se tournent, les uns vers les médecines alternatives et complémentaires (homéopathie et acupuncture pour l’essentiel), les autres vers les sciences humaines, sociologie, techniques psychologiques, groupes Balint. Ils ont comme les médecins du deuxième groupe une conception extensive de la santé qui correspond bien à la définition de la santé proposée par L’OMS. Mais ils sont également profondément convaincus des failles de la biomédecine telle qu’elle leur a été enseignée à la faculté. Pour François Laplantine, ces médecins sont très minoritaires dans le corps médical, et rares sont ceux qui expriment le désir d’en finir complètement avec le schéma de pensée biomédical, recherchant plutôt une complémentarité à leur avis indispensable pour mieux asseoir leur pratique.

A notre avis, on retrouve chez les médecins qui pratiquent l’homéopathie des médecins appartenant au deuxième groupe décrit par Laplantine, et toute une palette d’attitudes dans le troisième groupe, selon leur degré d’adoption ou de rejet de la biomédecine et de l’attitude adorciste décrite plus haut.

François Laplantine se demande en conclusion si « cette tendance actuelle de certains médecins de se démarquer d’une pensée purement biomédicale, de désenclaver la médecine en faisant appel au non médecin (psychologues en particulier), ne cache pas le désir de la part de ces médecins, dont la bonne foi est totale, de trouver une caution, un alibi, pouvant, si ce n’est déjà commencé, aboutir à une récupération » (Laplantine, 1986, page 275). Malheureusement, cet auteur ne va pas plus loin dans son argumentation. Cette attitude pourrait à notre avis correspondre à deux sortes de motivations : la survie professionnelle d’une part, motivée par le besoin tout simple de gagner sa vie, et par l’adaptation plus ou moins bonne à une demande évolutive de la part de leurs patients. La deuxième motivation pourrait être de conserver le plus possible ce qui peut rester du pouvoir médical qui leur a été attribué lors de leurs études, réellement ou symboliquement.

 

B – Les patients des médecines alternatives et complémentaires

Ils peuvent être regroupés en quatre tendances idéologiques (Laplantine et Rabeyron, 1987).

1 – La protestation humaniste contre la normativité de l’institution médicale et la « brutalité allopathique » de la biomédecine officielle. Ce sont les patients qui se plaignent de l’attitude d’une partie du corps médical, en particulier de leur manque d’écoute, et qui ne supportent pas la plupart des traitements allopathiques.

2 – La préoccupation de la globalité et la primauté accordée au rôle de l’endogène (voire plus haut). Ces patients sentent que leur pathologie touche la globalité de leur être et veulent une réponse thérapeutique elle aussi globale.

3 – L’idée de nature : c’est la confiance accordée aux capacités naturelles de régulation, et l’attrait vers tout ce qui touche à la nature dans les thérapeutiques.

4 – L’importance de la temporisation et de l’expectation : c’est l’importance de l’histoire du patient, du fait que le soin doit s’inscrire dans une histoire de vie et qu’il peut prendre un certain temps. Toutes ces choses vont à l’encontre de la spatialisation et des vues à court terme de la pensée médicale officielle.

 

Une enquête récemment publiée dans Homeopathy vient corréler ces données (Conceptions of health, illness and treatment of patients who use homeopathy in Santos, Brazil, CM Ptriano Justo et al, Homeopathy, 2008, 97, 22-27). Les auteurs insistent également sur les influences des proches (familles et connaissances) des patients pour adopter ou rejeter un traitement homéopathique, ainsi que sur la qualité de la relation patient médecin et sur les possibilités de prévention par ce type de traitement. Ces influences ont été également soulignées par Florence Galland (12).

 

Pour notre part, nous aurons tendance à diviser nos patients en trois groupes, aux frontières parfois très perméables, certains patients étant à cheval sur deux groupes.

Le premier groupe est constitué des zappeurs : ce sont les nomades de l’institution médicale, qui vont d’un thérapeute à l’autre, allant là où ils ont des résultats peu importe la qualité de ceux-ci pourvu qu’ils soient rapides, et allant là où ils n’auront pas trop de contraintes, contraintes dans la compliance du traitement comme dans la relation avec le corps médical.

Le deuxième groupe est constitué par les pragmatiques : le système médical biomédical ne correspond pas à leurs besoins et ils recherchent quelque chose d’efficace et sans effets secondaires, étant prêts à de la constance et à beaucoup d’efforts pour arriver à leurs fins. Ils attachent peu ou pas d’importance au raisonnement théorique sous tendant les différents courants de soin. C’est la vision de l’homéopathie comme médecine complémentaire qui prévaut dans ce groupe.

Le troisième groupe est constitué par les idéologues : ces patients font une analyse critique de la biomédecine et de ses compromissions avec le système socioéconomique actuel, et font un choix idéologique en se soignant autrement que par allopathie. C’est la vision d’une médecine alternative, associée à une contre culture qui prévaut dans ce dernier groupe.

Florence Galland (12) insiste sur deux points importants que l’on peut retrouver dans les différents groupes de patients : une certaine volonté de se prendre en charge au niveau de sa santé, et par là de se libérer de l’emprise du pouvoir médical, et le désir de se différencier au sein de son groupe social en se soignant d’une façon particulière.

 

Les différentes recherches sociologiques montrent que si le statut social, l’origine urbaine ou rurale, l’âge, le degré de scolarisation et l’affiliation religieuse influent sur le choix de la biomédecine ou des médecines alternatives et complémentaires, il n’est guère possible de repérer un véritable système de recours thérapeutique et d’élaborer une classification précise susceptible de rendre compte des parcours individuels (Benoist, 2002, page 240). Ces différentes variables sont fonction en particulier de la localité où exerce le médecin et de la personnalité même de ce médecin. La diffusion grandissante de l’information médicale, notamment par internet, est en train de modifier en profondeur les motivations des malades et la relation qu’ils peuvent avoir avec les professions de santé.

 

V – Conclusion

Ce qui nous a frappé dans cette étude sur l’anthropologie de la médecine est tout d’abord la critique radicale d’une façon de pratiquer la médecine coupée de son contexte psychologique et socioculturel. Cette critique n’épargne pas à nos yeux une certaine façon de pratiquer l’homéopathie : par exemple, notre participation pendant de longues années à un groupe Balint nous a fait prendre conscience qu’une réponse médicamenteuse même homéopathique, non nocive, n’était pas forcément la meilleure, en particulier dans de nombreuses affections psychosomatiques ou dans des troubles psychologiques, notamment chez l’enfant, puisque c’est le thème de ce congrès, et que cette réponse thérapeutique devait toujours être accompagnée d’autres réponses, d’ordre psychologique et social. C’est dire l’importance d’une réflexion à propos de la médecine qui soit transversale, multidisplinaire, faisant appel aux différentes sciences humaines comme le fait l’anthropologie de la médecine : ceci implique pour les médecins d’accepter le regard de non médecins sur leur discipline, chose à laquelle ils ne sont pas préparés, et que tous n’acceptent pas facilement.

Cette critique correspond tout à fait aux questions que nous nous posons à propos de l’évolution de la médecine contemporaine. Il ne s’agit pas ici d’opposer homéopathie et allopathie, certains confrères allopathes prenant très bien en compte la globalité de leurs patients. Plus généralement, il s’agit de se poser la question de savoir si et comment est-il possible de concilier au sein d’une même pratique deux démarches qui s’opposent presque point par point, la démarche homéopathique et la démarche biomédicale. Deux éléments de réponses pourraient être d’une part le patient lui-même, ses capacités de réflexion et de réponse aux différentes démarches thérapeutiques, et d’autre part les capacités d’adaptation du thérapeute à la personnalité du patient.

La complexité de l’être humain et de son contexte de vie, famille, groupe social, environnement, demande une réponse de soins plurielle tenant compte de tous ces composants : c’est ce que l’anthropologie médicale nous rappelle, en nous posant la question de savoir si nos institutions soignantes et la façon de concevoir la société actuellement sont bien adaptées à cette demande. Il ne s’agit pas de rejeter les acquis de la biomédecine, mais de rappeler que si elle est nécessaire, elle est loin d’être suffisante.

Nous laisserons le dernier mot à Byron Good (1998, page 368) : « La médecine clinique ne donne que trop souvent l’exemple d’une conception étroite de la réalité instrumentale. Cette rationalité instrumentale a envahi également la bureaucratie toujours plus présente des compagnies d’assurance, en santé publique, et même dans les sciences médico-sociales. Ceci constitue une menace pour la liberté et pour notre vécu des dimensions constructives, mythologiques et transcendantes de la maladie, de la guérison et de l’existence. La mission de l’anthropologie médicale est non seulement de poser les questions importantes de pouvoir et d’économie politique, mais aussi d’ouvrir notre discours aux questions existentielles, aux valeurs humaines et à nos engagements sociaux. Elle s’oppose ainsi à la croyance de salut par les pouvoirs de la science, et à l’idée que la biomédecine représente l’Ordre naturel ».

Dans le cas des sciences humaines, la mise hors jeu de la subjectivité ne signifie rien de moins que l’exclusion de ce qui en l’homme constitue son essence propre (Michel Henry, La Barbarie, page 133).

 

Ce texte a servi de support à la communication que Philippe Colin a faite au Congrès National d’Homéopathie de mai 2008 à Saint Malo, et il a été légèrement modifié à la suite du dialogue effectué à ce sujet avec Philippe Marchat.

Philippe Colin

 

 

Bibliographie

1 – Angell Marcia, La vérité sur les compagnies pharmaceutiques, Les éditions le mieux être, Montebello (Canada), 2005.

2 – Baer Hans et Davis-Floyd Robbie, Sage Encycopedy of Anthropology, Sage Publications, 2005.

3 – Balcou-Debussche Maryvette, L’éducation des maladies chroniques, Editions de archives contemporaines, Paris, 2006.

4 – Bernard Claude, Introduction à la médecine expérimentale, Paris, Garnier-Flammarion, réédition 1996.

5 – Benoist Jean, Petite bibliothèque d’anthropologie médicale, Amades, Paris, 2002.

6 – Colin Philippe, La philosophie de la médecine homéopathique, Atlantica, Biarritz, 2007.

7 – Deliège Robert, Une histoire de l’anthropologie, Seuil, Paris, 2006.

8 – Foucault Michel, Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1954, réédition 2002.

9 – Foucault Michel, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963.

10 – Froment Alain, Maladie, donner un sens, Editions des archives contemporaines, Paris, 2001.

11 – Froment Alain, Médecine scientifique, médecine soignante, Editions des archives contemporaines, Paris, 2001.

12 – Froment Alain, Pour une rencontre soignante, Editions des archives contemporaines, Paris, 2001.

13 – Galland Florence, A la recherche d’un nouvel équilibre : représentations de la maladie et de la santé dans la médecine homéopathique. Lausanne, Institut d’anthropologie et de sociologie. Recherche et travaux en anthropologie, n°4, 1995.

14 – Grand Usuel Larousse, 5 volumes, Larousse, réédition 1997.

15 – Guyot Jean-Claude, Quelle médecine pour quelle société ? Privat, Toulouse, 1982.

16 – Good Byron, Comment faire de l’anthropologie médicale, Les empêcheurs de penser en rond, Le Plessis Robinson, 1998.

17 – Henry Michel, La Barbarie, PUF 1987, réédition 2004.

18 – Israël Lucien, La décision médicale, Calman-Lévy, 1980.

19 – Laplantine François, Anthropologie de la maladie, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1986.

20 – Laplantine François, Rabayron Paul Louis, Les médecines parallèles (collection que sais-je ?), PUF, Paris, 1987.

21 – Mallet Donatien, La médecine entre science et existence, Vuibert, Paris, 2007.

22 – Patriano Justo et al, Conceptions of health, illness, and treatment of patients who use homeopathy in Santos, Brazil, Homeopathy, January 2008, 22-27.

23 – Withman Jeffrey, What price hope, APA Newsletter, 1, 2006, apaonline.org.