LES MIASMES SELON RAJAN SANKARAN : ECLAIRAGE BIOLOGIQUE ET SCIENTIFIQUE PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Marchat   
Vendredi, 24 Février 2017 19:00

 

1) Intérêt clinique de la notion de miasme selon Rajan Sankaran

Dans l’approche de Rajan Sankaran, miasme et sensation vitale ont partie liée et constituent les deux aspects qu’il convient de relever dans le cas pour asseoir la prescription. La sensation vitale renvoie à la question « quoi », (what), ce que ressent le patient et le miasme au « comment » (how) cette sensation est vécue par le patient.

Le miasme indique, dans son système, la profondeur de l’atteinte pathologique, au travers, notamment du degré de désespoir du sujet.

Rajan Sankaran a, ainsi, décrit dix miasmes rattachés, chacun, à dix maladies (aigue, typhoïde, malaria, teigne, sycose, malaria, tuberculose, lèpre, cancer et syphilis.

Ces miasmes sont particulièrement utiles, concernant les remèdes végétaux car ceux-ci sont définis par une sensation commune et une façon de vivre cette sensation (le miasme). Concernant les animaux, la chose est moins évidente mais l’intérêt reste réel. Pour ce qui est des minéraux, très souvent, la notion miasmatique n’est pas très utile pour asseoir la prescription. Ici, c’est davantage la problématique du patient qui importe (problématique de séparation, deuxième ligne du tableau de Mendeleev, de relation, troisième ligne, de tache à effectuer, quatrième, etc.) couplé, non pas à son miasme mais à l’étape où il en est de l’achèvement de cette problématique.

Par ailleurs, je veux attirer l’attention sur le danger et le frein que représente cette formulation malencontreuse de « miasme » dans la reconnaissance de l'homéopathie et, aussi, sur le fait qu’à trop se satisfaire du seul registre pratique, l'homéopathie manque l’occasion d’enrichir par ses apports la connaissance biologique et médicale, enrichissement et apports qu’elle pourrait accomplir si elle se trouvait correctement et précisément conceptualisée.

2) Non pertinence, obscurité, désuétude et vacuité scientifique de la notion de miasme

Comment ne pas voir que,  parler de « miasmes » est obsolète, inaudible et non pertinent ? Cette expression ne possède aucune claire intelligibilité et n’a aucune portée scientifique. De même, se montre-t-elle inutilisable dans un débat sur le vivant et la médecine avec qui que ce soit qui ne connaisse pas parfaitement le système sankaranien. Imagine-t-on, en effet, pouvoir s’adresser à un médecin non homéopathe, ou, simplement, à un interlocuteur instruit et curieux, en lui parlant de miasme typhoïde ou lèpre ? « Ce patient appartient au miasme lèpre », est-ce une phrase que l’on s’imagine pouvoir contribuer utilement en quoi que ce soit à une discussion médicale sérieuse ? Cela peut il être compris par chacun? Cela peut-il éclairer qui que ce soit sur la maladie, les patients et leur prise en charge ?

Je sais que nombre d’homéopathes se moquent d’être compris et compréhensibles (je me demande même si certains ne trouvent pas dans cette obscurité de nos formulations une satisfaction certaine), que seul compte pour eux l’intérêt pratique de telle ou telle notion. Certes, mais gagner en précision et en rigueur ne pourrait que faciliter l’intelligibilité de la notion et faciliter son usage clinique.

D’ailleurs, est-on bien conscient qu’il n’y a pas même consensus sur ce terme dans la seule communauté homéopathique (cf. la différence de signification et de rôle des miasmes hahnemanniens, de ceux de l’argentin Masi et de Sankaran par exemple). Ainsi, chez Masi, chaque remède est, potentiellement, tri-miasmatique alors que chez Sankaran, la signification est tout autre et chaque remède relève d’un seul miasme.

Qu’on me permette de penser que le fait qu’un même terme soit utilisé par de nombreux courants en homéopathie, chacun avec une entente différente, est inadmissible et signe le manque cruel de rigueur de l'homéopathie. Cela lui ferme, aussi, toute possibilité de contribuer à enrichir la connaissance universelle de l’être humain. Quel dommage que nos avancées restent impossibles à transmettre et partager avec des interlocuteurs non membres de tel courant homéopathique.

Je me propose donc de redéfinir, plus rationnellement et plus scientifiquement, cette notion.

3) Redéfinition scientifique de la notion : les réactions biologiques fondamentales disponibles face aux stress et aux menaces

Face aux dangers menaçant sa vie, l’être humain, au cours de son évolution, a intégré dans son organisation biologique, tout un répertoire d’attitudes biologiques, de postures, de réactions de défense fondamentales. Notons bien que quand je dis biologiques, l’on doit entendre physique et psychique inclus.

De la même façon que l’être humain a acquis des réflexes de survie, inscrits dans sa biologie (pour se nourrir, pour défendre son territoire, pour assurer sa reproduction, avoir conscience du danger que représente pour lui tel prédateur alors que le prédateur d’une autre espèce sera négligé), il a acquis des réactions, des postures « réflexes » types, en nombre limité, face aux menaces vitales. Celles-ci se sont inscrites dans notre identité biologique du fait d’expériences multiples répétées au cours de dizaines de milliers d’années et représentent les réactions psycho-biologiques diverses mises en œuvre, au cours des temps, par l’espèce humaine face aux menaces et aux maladies princeps auxquelles elle a du faire face et auxquelles elle a du, aussi, s’adapter.

Ainsi, l’être humain dispose-t-il (d’où le terme possible de dispositions fondamentales, de réactions fondamentales types)  d’un « répertoire » de réactions, d’attitudes, de postures face aux maladies, aux stress et difficultés diverses de la vie. Et si l’époque récente fait une large place aux stress psychologiques et sociaux, il n’en demeure pas moins qu’au fils des millénaires passés, c’est un répertoire de réactions à des maladies menaçantes fréquentes et répandues qui a été, peu à peu, élaboré. Et qui sera mis en œuvre, aujourd’hui, même devant d’autres situations pathogènes.

Ainsi, par exemple, le mode fondamental de réaction « aigue » ne renvoie-t-il, en réalité, à aucune maladie en particulier mais signe la réaction ou posture biologique, inscrite au fil du temps par l’exposition répétée de l’espèce à  des menaces soudaines sur la vie. On peut penser que ceci a été intégré biologiquement du fait, aussi bien de l’exposition à des maladies infectieuses aigues et très dangereuses comme des pneumonies ou des méningites, mais aussi des traumatismes ou des blessures, des menaces de mort dans des combats ou lors de rencontres inopinées avec tel animal sauvage, etc. Et, aujourd’hui, des millénaires plus tard, le patient « aigu » va, chroniquement, tout au long de sa vie, vivre comme s’il était menacé d’un danger aigu en permanence.

Les autres « miasmes » sankaraniens renvoient aux différentes réactions de défense engrammées dans notre fonctionnement biologique dans le double registre de :

--> La temporalité de la menace vitale

--> Sa dangerosité et son impact sur le psychisme du patient

La combinaison de ces deux éléments conduit à la description de réactions biologiques de défense et d’adaptation de type aigue (déjà vu), subaiguë (typhoïde), intermittente (malaria), chronique et peu dangereuse (psore), chronique, peu dangereuse mais très agaçante (ringworm), chronique, non mortelle mais qui s’impose et limite la capacité de vivre (sycose). Dans les quatre miasmes suivants, on a des menaces chroniques, qui s’inscrivent dans la durée et impactent et imposent leurs manifestations en obérant et limitant la vie des patients, et qui induisent, en raison du type même de menace et de marques imprimées sur le patient, un « étouffement de la vie », une fébrilité, une excitation émtionnelle et un besoin d’ailleurs (tuberculose), une dégradation irréversible, un ostracisme social, défiguration, atteinte de l’intégrité et de l’image du corps, d’où dégoût, honte, etc. (lèpre), une destruction et menace de folie (syphilis), une vie qui semble pouvoir se poursuivre mais qui est, pourtant, menacée de toutes parts d’une destruction mortelle et demande un contrôle permanent du danger (cancer).

Je ne chercherai nullement, ici, à définir très précisément (je le ferai en une autre occasion) le « contenu » biologique de chacune de ces réactions fondamentales de défense disponibles. Je cherche juste à indiquer qu’il est possible, sans rien perdre de l’utilité clinique et pratique de la découverte de Rajan Sankaran, d’en effectuer une formulation plus précise, plus rigoureuse, davantage biologique et scientifique, et plus partageable aussi avec tous.

En résumé, l’on peut dire que l'homéopathie prend en compte, en clinique, dans certains cas, la présence, chez les patients, de réactions biologiques fondamentales de défense et d’adaptation face aux stress et menaces diverses. Ces réactions fondamentales disponibles sont en nombre limité (et leur liste n’est pas forcément complète au jour d’aujourd’hui) car les types de menaces dans le temps et « dans » le corps sont, elles même limitées. Aigu, subaigu, intermittent, chronique pour ce qui est du registre temporel. Quand à la menace portée sur la vie, elle peut être massive ou légère, plus ou moins destructrice ou seulement gênante, davantage physique ou physique et sociale (lèpre), etc.

Ces réactions se sont, vraisemblablement, inscrites au cours du temps dans notre organisation biologique du fait de l’exposition répétée de notre espèce à certaines menaces types. C’est cette même exposition répétée à certaines maladies particulièrement répandues et auxquelles l’espèce humaine est particulièrement sensible qui explique que l’on peut rapprocher ces réactions fondamentales types aux réactions à certaines maladies auxquelles l’espèce humaine est, ou  a été, particulièrement sensibles.  D’où les rapprochements avec la typhoïde, la malaria, la tuberculose, la lèpre, etc.

Ces réactions ne sont nullement des « miasmes », mot creux, vide et désuet, mais des mécanismes biologiques de défense et d’adaptation à des menaces vitales. Elles ne sont pas seulement activées en cas de maladies infectieuses mais dès qu’une menace, physique, psychique, sociale, etc. se manifeste et est perçue par l’organisme, ces réactions ayant permis, dans l’évolution humaine, à notre espèce de se défendre et s’adapter.

Il convient donc de cesser de parler de « miasme ». Ce terme est daté, sujet au contresens permanent et tout simplement faux. Ce que désigne, cependant, Rajan Sankaran par ce terme « traditionnel totalement inapproprié, est pertinent cliniquement et utile, en pratique, dans sa méthode de prise du cas. Il convient, donc, de le remplacer par celui de réaction fondamentale de défense face au stress.

Il convient, aussi,  d’en dégager le sens biologique et scientifique. Ainsi, chacun réagit-il aux stress divers selon quelques schémas biologiques pré-établis, qui colorient, aussi, l’ensemble de son vécu. Ainsi il apparaît que, « face au stress, l’évolution nous a légué des modèles de réactions psycho-biologiques types.

Et ce que montre la clinique homéopathique, et qu’a mis en évidence Rajan Sankaran, c’est que ces modèles de défenses biologiques fondamentaux sont mis en œuvre dans la totalité des situations pathologiques, qu’elles soient infectieuses ou non, physiques ou psychiques, individuelles ou sociales.

Il me semble que chacun, médecin ou non, homéopathe ou allopathe, pourrait entendre cela et pourrait en saisir la pertinence biologique et scientifique. Il me semble, aussi, que cette conception constitue un enrichissement de la connaissance biologique et médicale,n on seulement homéopathique mais générale.

Par où l’on voit, je l’espère, qu’un travail de conceptualisation rigoureux est essentiel pour mettre au jour l’apport considérable que pourrait effectuer l'homéopathie à la connaissance biologique, médicale et humaine en général, ainsi que pour favoriser l’entente de l'homéopathie par le plus grand nombre et par la communauté scientifique.  Pour que nous sachions mieux,également, ce que nous, médecins homéopathes faisons et sur quoi repose notre pratique.

 

Philippe Marchat.

 

Mise en ligne le 24 février 2017

Mise à jour le Vendredi, 24 Février 2017 19:01