L'HOMEOPATHIE ET LA PSYCHANALYSE : DEUX NIVEAUX DIFFERENTS DE L'INCONSCIENT PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Philippe Marchat   
Samedi, 05 Mars 2016 20:36

Je pense connaître assez bien, en théorie et au plan clinique, la psychanalyse, qu’elle soit freudienne, lacanienne, un peu moins la psychologie analytique jungienne et, bien sur, l’homéopathie. Les réflexions que je vais livrer, ici, sur les différents niveaux de l’inconscient explorés par la psychanalyse et l’homéopathie puis, dans un article suivant, sur la nécessité de bien savoir discerner,  en clinique, ce qui relève de l’une ou l’autre des deux approches, sont directement issues d’un peu plus de vingt-cinq années de compagnonnage avec ses deux disciplines.

Ce qui m’apparaît de plus en plus acquis est que les deux approches s’adressent toutes deux, dans leur action la plus profonde à deux dimensions inconscientes du sujet. Dimensions qui ne sont nullement identiques et m’amènent à bien distinguer deux niveaux d’inconscient dont l’un s’étaie sur l’autre.

Cette distinction présente, à mon sens, trois intérêts majeurs.

à Mettre au jour une dimension méconnue de l’inconscient humain, celle qu’explore l'homéopathie, dimension d’un inconscient très archaïque, qui nous ramène aux origines du fonctionnement psychobiologique humain.

à Redéfinir précisément les champs de la psychanalyse et de l'homéopathie concernant l’inconscient.

à Articuler ces deux dimensions dans leur aspect pratique et permettre de mieux discerner quand recourir à l’une, quand à l’autre. Ce point particulier, nourri entièrement de ma pratique, devrait pouvoir intéresser nombre de confrères et sera traité dans un article distinct.

L’inconscient de la psychanalyse :

L’inconscient de la psychanalyse, que chacun connaît peu ou prou, est celui que Freud a mis au jour. Dans sa version « moderne » il a été prolongé et revisité par Lacan, popularisé, dans notre pays, par les livres et les interventions sur les médias de Françoise Dolto. Enfin, l’inconscient jungien, moins connu, présente, lui aussi, un intérêt fondamental.

Dans les trois cas, le point commun est la cure par la parole de troubles enfouis très profondément, et à son insu, du patient.

Freud insiste sur l’importance de la sexualité infantile, sur les pulsions, l’importance des interactions de la petite enfance et s’intéresse, de fait, aux zones d’ombre de l’histoire familiale de chacun. Avec sa topique en trois points, Moi, Ca, Surmoi, il invite à « lire » la pathologie psychique au travers d’un jeu de forces, conscientes et inconscientes, en interaction.

Il traite donc d’un inconscient que l’on peut qualifier de « personnel ». Rappelons que Freud cherchait à faire une « psychologie à l’usage des neurologues », c’est à dire une « psychologie scientifique ». Il n’était pas du tout convaincu que la psyché soit si indépendante que cela de la biologie. Il a aussi, on le sait, donné une importance primordiale à l’interprétation des rêves (par l’analysant lui même, rompant avec toute idée de « clés des songes » où le sens du rêve pourrait être compris par des interprétations toutes faites), rêves qui, selon lui, expriment un désir inconscient.

Pour lui, tout rêve est, donc, l’expression caché, transfiguré, d’un désir. Je ne suis pas sur du tout, réfléchissant aussi bien à mes rêves qu’à ceux de tant de patients, que cela soit exact. Certains rêves disent plutôt, et l’homéopathie est, ici, proche de la conception de Jung, ce à quoi est confronté le sujet, quelles difficultés ils affrontent, où il en est de ces difficultés et, de ce point de vue, les rêves récurrents, en se modifiant peu à peu, « disent » comment se fait l’évolution du patient face à ses difficultés fondamentales.

Lacan s’inscrit dans la lignée freudienne mais en insistant, peut être un peu excessivement, sur l’importance du langage, de ce qui est dit de nous et sur nous. Il rompt, ainsi, beaucoup plus radicalement que Freud avec le biologique. Pour lui, « l’inconscient est structuré comme un langage » et il est constitué de « l’ensemble des effets de la parole sur le sujet ».  Notons, cependant, que Lacan peut d’autant plus dire cela que l’inconscient dont il s’occupe, et qui existe bel et bien, sans épuiser pourtant, à mon sens, la notion d’inconscient loin s’en faut, est un inconscient structuré et « produit » par le langage.

Jung, dont on sait qu’il a rompu, peu à peu, avec Freud (s’intéressant davantage au problème de la psychose que de la seule névrose dont s’occupait Freud), a mis au jour un inconscient collectif, moins personnel, qui renvoie aux expériences fondamentales de tout humain. Il se distingue également, nous l’avons vu, très nettement de la pensée freudienne concernant les rêves.

Dans tous les cas, le véhicule essentiel de la cure analytique est  la parole et la recherche de sens, au travers des idées qui viennent dans l’esprit du sujet, par libre association sur ce dont il parle.

Le traitement passe donc par le récit, le discours, la mise en mots des maux. Quand les affects remontent, l’analysant cherchera des « mots pour le dire ». L’inconscient de la psychanalyse est donc un inconscient accessible à la parole. Un « inconscient structuré comme un langage » comme disait Lacan et un inconscient structuré par le langage. Un inconscient que le sujet cherchera à exprimer, à transmettre en mots, dans lequel il cherchera le « sens » de sa souffrance, ses « raisons », ses « pourquoi ». On peut prendre l’exemple, tout simple, d’un patient qui aurait été traité de « bon à rien » ou d’« imbécile » toute son enfance et qui n’aurait pas perçu l’influence néfaste que cela aurait eu sur lui. On peut, aussi, évoquer l’exemple d’un des patients de Lacan, victime d’une crampe des écrivains extrêmement invalidante et qui s’en débarrassa quand il se rappela une scène dans laquelle son père était accusé d’être un voleur. Le fils, musulman comme le père, avait repris à son compte le sort réservé aux voleurs dans sa culture (on leur coupait la main) et s’était, symboliquement, rendu « manchot » en quelque sorte.

L’inconscient de la psychanalyse est donc un inconscient de symboles, de signifiants, de mots, de gestes mémorisés, de significations qui, refoulées et enfouies, n’en continuent pas moins de s’exprimer ou de parasiter le sujet.

L’inconscient archaïque de l’homéopathie :

Mais avant les mots, et même aussi, dans certaines situations particulièrement vives, quel que soit l’âge, situations extrêmement conflictuelles et traumatisantes (violence, hurlements, scène sexuelle perçue sans être comprise, privation de soins, maltraitance diverse, etc.), le sujet vit ce qui lui arrive sans pouvoir le comprendre, ni même se le représenter, symboliquement ou autre, et donc sans qu’un sens puisse lui  être donné (faute de moyens langagiers et symboliques disponibles).

Il y a, ainsi, de l’innommable, de l’impensable, de l’inimaginable et donc du non signifiant, mais de l’agissant malgré tout, chez chacun d’entre nous, et ce, de façon d’autant plus marquante que nus aurons vécu, très tôt, des situations traumatisantes.

L’inconscient de l'homéopathie relève de ce niveau très archaïque de notre construction individuelle, de nos affects, de nos conduites, de notre éprouvée, de notre « vécu », d’un niveau élaboré dans les tous premiers temps de la vie, d’avant toute parole possible (le bébé ne parlant pas) et de toute compréhension possible (les actes, les ressentis, les impressions, les sensations, sont « vécus », dans le corps, dans nos sensations et fonctions biologiques, mais sans sens élaborable). Il s’agit d’un niveau où, faute d’intégration « intellectuelle » possible (cas d’un petit bébé maltraité physiquement ou qui entend des hurlements proférés entre ses parents), le « ressenti » s’incorpore, s’inscrit dans l’organisme sous forme de perturbations physico-psychiques et émotionnelles qui s’inscrira à la base de tout le vécu à venir du sujet. Et l’inconscient langagier de Freud et Lacan viendra, ensuite, se greffer sur celui-ci voire, assez souvent, sera « orienté » par ce vécu très archaïque (c’est à dire que les mots prendront un sens qui résonnera plus ou moins avec le vécu préverbal).

Les stress, traumatismes, conflits, situations inassimilables par la psyché, par une donation de sens quelconque (et, ici, on peut faire référence à Jung et Freud), survenus chez le tout petit, s’inscrivent donc « directement » dans le corps, dans la dynamique vitale de l’organisme du patient.

Un inconscient du corps, inscrit dans le vécu corporel

Cet inconscient s’exprime dans des rêves mais, surtout, dans le vécu incarné du sujet. Dans ses émotions, actions, ses impressions, ses sensations, bref, dans ce que l’homéopathie décrit depuis plus de deux siècles, des « modifications de l’agir et du sentir » du patient. Mais c’est d’autant plus accessible, de nos jours, avec l’attention portée, à la suite de l’école de Bombay (Mumbaï) par la prise en compte des sensations très archaïques qui viennent et reviennent chez le patient quand on l’amène à exprimer ce qu’il ressent sans aucun égard à la moindre logique langagière.

Là aussi, il y faudra des mots pour le dire. Mais pour le dire seulement, pas pour lui donner du sens. Au contraire, pour pouvoir le dire, il faudra oser l’exprimer sans chercher à ce que le discours ait le moindre sens apparent.

Il faudra, par exemple, que le patient ose dire (cas récent d’une patiente) « alors je me sens, pfuiii, partir en fumée … vous comprenez, j’étais à l’étroit, dans une boite en carton, toute serrée, et là, (geste d’échappement vers le haut), pfuiiii, je suis toute légère, je pars dans les airs, etc. » Il n’y a rien à analyser, ici, même si, bien sur, l’on « comprend » que cela a à voir avec une pression, un manque de liberté ressenti … mais combien de personnes dans cette situation exprimeront leur mal être ainsi, avec ces mots là, ces gestes là, ces onomatopées là, le tout convergent de manière très cohérente vers le même vécu.

Et quand une autre patiente dit « je me sens fragile, comme si j’allais tomber en morceaux » et se met à faire des gestes comme si des bouts d’elle même tombait par terre, il ne s’agit pas de chercher un sens caché, mais de faire préciser encore ce vécu incarné. En disant, « oui, vous pouvez m’en dire un peu plus ». Et la patiente de poursuivre « oui, je me sens lourde, et puis je tremble, et puis, ensuite, il y a des bouts de moi qui tombent, les uns après les autres, comme cela (et elle refait les mêmes gestes) ».

Ces mots ne dégagent aucun au delà d’eux mêmes, aucun au delà du sujet, aucune vérité « rationnelle » enfouie et méconnue. Ce sont des mots, des images, souvent accompagné de signes physiques, de gestes, qui parlent d’un ressenti « brut », archaïque, fondamental, du sujet.

On peut, bien sur, faire l’hypothèse qu’ils correspondent à un ressenti corporel d’effondrement, de « tomber en morceaux », très lointain et très enfoui. Mais ce n’est pas d’un refoulement qu’il s’agit, plutôt d’une inscription corporelle, d’une marque sensible, d’une sensation fondamentale sur laquelle l’individu a continué de se développer, que toute l’éducation et l’évolution ultérieures ne pourront pas « réparer » ni effacer et ne feront que « masquer » ou compenser tant bien que mal.

Ces sensations fondamentales expriment ce que le sujet ressent au plus profond de lui, dans son corps, dans ses fonctions, sans ce que cela n’ait le moindre sens. Ces mots expriment le vécu le plus fondamental du sujet, vécu certes inconscient et inconnu du patient et qui ne viendra au jour qu’en invitant le patient, et le guidant, à exprimer, par associations d’idées, par simples « relances » (« dites m’en un peu plus », « vous avez dit … qu’est-ce à dire ? ») à exprimer ce qu’il ressent. Notons que le patient est, très souvent, étonné de ce qu’il dit, voire inquiet, se demandant s’il n’est pas en train d perdre la tête, souvent il n’ose pas continuer, a tendance à revenir à un discours plus « construit », plus réfléchi, plus « logique ».  Et c’est à nous de la rassurer et de lui dire que ce vécu est « normal », que c’est quelque chose de très ancien enfoui dans son vécu corporel.

L’inconscient dont nous avons l’habitude, pour faire simple disons l’inconscient de la psychanalyse, n’est donc pas le seul qui existe. Je ne crois pas, même, qu’il soit le plus fondamental au sens du plus « ancien », du plus « au fondement » de l’individu. Il garde, selon moi, pourtant, tout son intérêt. Je pense même qu’à mieux l’articuler à l’inconscient corporel, du vécu incarné de l'homéopathie, il se détache avec plus de clarté.

L’inconscient archaïque auquel peut donner accès l'homéopathie, inconscient qui échappe à la logique des mots pour obéir à la logique des ressentis corporels, des répercussions et des marques corporels, mérite qu’on le mette au jour et le fasse connaître à tous.

Nous verrons ultérieurement l’intérêt de cette distinction en pratique clinique.

Philippe Marchat

Mis en ligne le 5 mars 2016

Mise à jour le Mardi, 28 Février 2017 14:14